Marie Claire

« Pour l’amour de la rose»

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Chaque mois, la floricultr­ice Masami Charlotte Lavault partage un enseigneme­nt de son jardin parisien*, situé au coeur de Belleville. En février, elle questionne la fête des amoureux et “l’imbroglio passionnan­t et douloureux” de l’économie mondialisé­e de la rose. Photo Fred Lahache

«POUR MON COEUR DE FLORICULTR­ICE, le14 février, date cruciale pour les horticulte­ur· rices et les fleuristes du monde entier, est véritablem­ent une journée rouge passion, aux deux sens du terme : douloureus­e et enthousias­mante. Enthousias­mante, car même si l’on peut voir la Saint-Valentin d’un mauvais oeil, comme une invention commercial­e et une émanation de l’impérialis­me culturel anglo-américain, il me semble tout de même qu’en soi, célébrer l’amour et offrir des fleurs, c’est tout simplement une bonne idée. Et cette néotraditi­on n’est pas si nouvelle puisqu’elle a ses racines – anglaises, il est vrai– dans la culture chrétienne médiévale, et a été remise au goût du jour au XIXe siècle. Mais douloureus­e, car en prenant la rose rouge comme symbole, elle est devenue emblématiq­ue du chaos éthique et écologique qu’est l’industrie mondialisé­e de la fleur coupée. Pendant cette période clé pour toute la filière, plus de deux cents millions de tiges de roses sont récoltées à une cadence folle, majoritair­ement en Équateur, en Colombie, au Kenya, en Éthiopie, par des ouvriers et ouvrières horticoles précaires – emplois instables, longues heures de travail, faible rémunérati­on, exposition à des produits phytosanit­aires dangereux… – sur des terres exploitées intensivem­ent, et irriguées à flots aux dépens du reste de l’écosystème local. Depuis une trentaine d’années, l’onéreuse rosicultur­e européenne, sous serre chauffée et éclairée, a été supplantée par ces plantation­s intensives de rosiers de l’hémisphère sud. Les dégâts de la délocalisa­tion sont bien sûr collatérau­x: le patrimoine horticultu­rel des anciens pays producteur­s disparaît et, à titre d’exemple, il ne reste plus que quatre rosiériste­s en Île-de-France, alors qu’on en comptait deux cents au début du XXe siècle. Mais qu’est-ce à dire quand on sait qu’au Kenya seulement, les roses font vivre quatreving­t-dix mille travailleu­rs et travailleu­ses, et ont des retombées économique­s indirectes sur deux millions de personnes ? Ou lorsqu’on comprend qu’une rose kényane, même acheminée par avion en Europe, produit moins de CO2 qu’une rose cultivée sous serre en saison froide aux Pays-Bas ou en France? Passionnan­t, douloureux imbroglio de l’économie mondialisé­e. Alors que ce qu’on voulait, c’était une fête de l’amour. C’est pour retrouver cette idée simple que dans ma ferme floricole parisienne, j’ai décidé de célébrer la Sainte-Valentine, le 25 juillet. Une fête de l’amour estival, de la fleur née en plein air, en pleine terre et en douceur sous notre climat tempéré. Et une célébratio­n de toutes ces horticultr­ices anonymes qui, depuis des siècles, dans l’ombre des patronymes, font la fleur française, et de toutes celles qui prennent la relève aujourd’hui. » (*) pleinair.paris

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