Brunello Cucinelli, la maille philosophe
Il y a près de quarante ans, il bouleversait l’univers du cachemire avec ses modèles colorés. Féru de philosophie, le créateur et entrepreneur italien s’emploie aujourd’hui à mettre sa griffe au diapason de ses valeurs humanistes.
UN MODÈLE INSPIRANT
C’est un rituel insolite mais auquel il ne déroge jamais : tous les jours, à 17 h 30, Brunello Cucinelli invite ses « âmes pensantes » – il parle de ses salarié·es en ces termes – à quitter leur poste de travail afin de se consacrer en solitaire à sa grande passion : l’étude de la philosophie. Le modèle d’entreprise de celui qu’on surnomme « l’entrepreneur humaniste » en Italie est un cas d’économie moderne étudié à Harvard. Convaincu que la beauté des lieux stimule la créativité, il a basé son entreprise quasi utopique dans le bourg de Solomeo. Là, tout n’est qu’harmonie et beauté : ses ateliers, installés dans la forteresse du XIVe siècle, jouxtent un théâtre, un amphithéâtre, un somptueux jardin, une bibliothèque… Il y a aussi ouvert son Académie néo-humaniste, pour un meilleur développement de l’artisanat. Les jeunes y sont formés aux techniques du fait main, à l’anglais, l’architecture et, bien sûr, la philosophie.
LA RÉVOLUTION DES COULEURS
« Je savais que les femmes empruntaient volontiers dans la garderobe de leur mari les grands pulls qui leur tombaient sous les genoux : elles les portaient manches retroussées, presque comme une tunique enveloppante qui exalte leur féminité. Au fond, il s’agissait seulement de “légitimer” un état de fait », raconte Brunello Cucinelli. En 1978, il se lance donc dans la création de cachemires, en y apportant une touche de modernité – une certaine monotonie régnait alors dans l’univers de la maille, dominé par les tonalités de beige et de gris. Avec son idée nouvelle du cachemire décliné dans toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, l’Italien organise sa révolution pacifique et propulse cette matière, jusqu’alors très traditionnelle, dans la sphère mode et couture.
UNE INITIATIVE SOLIDAIRE CONCRÈTE
Avec la crise du Covid-19, depuis un an, la vie quotidienne est rythmée par des phases de confinement et l’industrie de la mode s’en trouve bouleversée. En raison de la fermeture temporaire de ses boutiques, les vêtements de la maison, d’une valeur de production de trente millions d’euros, se sont accumulés. Un excédent malheureux que l’Italien a préféré voir comme une « ressource agréable ». Ainsi est né le Brunello Cucinelli for Humanity, un projet solidaire de réutilisation de ses créations. Avec un réseau de partenaires, la maison offre ses vêtements aux plus démuni·es. Une initiative spontanée et concrète qui symbolise sa philosophie : « Ce serait un réel plaisir pour moi si ce geste était accepté comme un signe d'espoir pour une ère nouvelle et durable », conclut cet entrepreneur d’un genre nouveau.