Marie Claire

La journalist­e Claire Touzard raconte son combat contre l’alcool.

Dans un livre d’une âpre sincérité*, la journalist­e fait le récit de son addiction et de son combat pour s’en libérer. Elle nous a raconté cette reconquête semée d’embûches. Propos recueillis par Catherine Durand

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«Les alcoolos, c’est toujours les autres», dites-vous. Faut-il un déclic pour prendre conscience de son addiction?

En France, cela relève de l’autodiagno­stic : est alcoolique celui qui le veut. On peut faire des tests en ligne, dépasser les seuils et se dire: c’est pas grave. Pour moi, il y a eu un point de bascule. Mais ça reste quelque chose de très intime. Aucun médecin ne m’a jamais demandé si je buvais.

Votre rencontre avec celui qui allait devenir votre compagnon, ancien alcoolique, a-t-il été un déclencheu­r? L’alcool commençait à faire des dégâts dans ma vie. Quand j’ai perdu mon emploi, ça a fait tilt. Ma rencontre et notre histoire d’amour avec Alex m’ont aidée. Peu de modèles autour de nous ont la sobriété inspirante. Alex est très drôle. Je pense que ce chemin est plus dur à parcourir seule.

Vous êtes bretonne. Votre beau-père vous décourage: «Tu n’y arriveras pas. La boisson, c’est dans ton ADN…» Beaucoup de familles sont très ancrées dans un héritage de l’alcool. L’apéro, les dîners avec le vin rouge, c’est très institutio­nnalisé chez nous. Je viens d’une famille de bons vivants, des gens extra, mais pour eux, c’est comme si je reniais leur transmissi­on. Et on dérange aussi parce qu’on tend involontai­rement un miroir à l’autre.

«L’alcool efface les rêves», dites-vous. Que vous a-t-il volé d’autre?

Le plus brutal dans le sevrage est de retracer les connexions entre l’alcool et sa vie. Cela m’a volé ma dignité et beaucoup de mon intelligen­ce. Quand on boit tout le temps, qu’on est en permanence en gueule de bois, ça n’éveille pas l’esprit. Cela m’a rendue plus fébrile et plus fragile. C’est tragique, le nombre de bêtises que j’aurais pu éviter…

L’alcoolisme au féminin existe-t-il?

Une amie m’a dit : «Là où je me suis retrouvée dans ton livre, c’est dans ce chemin qui va de l’amour sale à l’amour-propre. » L’alcool au fond, c’est se salir, se noyer, s’écraser, et je ne dirais pas que ce manque d’estime de soi est féminin. Mais vu ce qu’elles subissent, il est dur pour les femmes de bâtir une bonne image de soi. On les salit dans la rue, au travail, dans l’image médiatique, et cette dégradatio­n est un des facteurs qui les pousse à se dégrader.

Vous liez aussi cette fragilité des femmes à ce qu’elles vivent au travail…

Cette idée qu’une femme doit en faire deux fois plus en étant irréprocha­ble est toujours d’actualité. Le milieu du journalism­e n’y déroge pas. J’ai été très mal vue car je négociais mon salaire. On a critiqué mes promotions, c’était forcément un coup monté. Ce plafond de verre pousse bien sûr à l’alcoolisme – on a besoin de relâcher la pression le soir, de maîtriser notre colère, on se sent impuissant­es.

Vous êtes sobre, amoureuse, jeune mère, mais «l’envie sera toujours là»…

Cela fait un an aujourd’hui que j’ai arrêté. Il y a des moments où j’y repense, où ça me manque. Mais j’arrive à me dire: « Si tu t’y remets, tu vas perdre beaucoup.» On peut vite oublier ce que la sobriété nous a apporté. Il faut s’en rappeler.

(*) Sans alcool. Être sobre est bien plus subversif qu’on ne le pense, Éd. Flammarion, 19,90 €.

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