Marie Claire

Les drôles d’effets pervers de l’appli Pronote.

Chaque mois, la journalist­e Giulia Foïs s’attaque à un stéréotype qui colle à la peau du mouvement #MeToo. Et, parfois, au cerveau de sa mère, pourtant bien constitué.

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«Je soupçonne parfois ma mère, aussi punk soit-elle, d’être une nostalgiqu­e de la mandoline. Par exemple, elle raffole de cette anecdote : “Ta soeur lisait dans le métro. Le type lui sourit, griffonne sur un bout de papier, le glisse dans son livre et s’en va. Sur le papier, y avait marqué : ‘Il est plus nécessaire d’étudier les hommes que les livres’, La Rochefouca­uld. C’est génial, non?!” Non. Pardon si je vais lui rouler dessus avec mon métro, à ta mandoline, mais non. Car je ne sais pas ce qui me gêne le plus : l’intrusion physique d’un inconnu dans l’espace vital de ma soeur, sans qu’elle n’ait rien demandé; le paternalis­me explicite d’un pseudo-poète qui dit à une jeunette quoi faire de son temps; le mépris sousjacent d’un homme qui recommande à une femme d’utiliser son coeur (voire plus bas) que son cerveau (trop haut); ou l’égocentris­me évident du petit garçon qui supporte mal que maman regarde ailleurs. En fait, rien ne va dans cette séquence. Et tout raconte comment on nous fige, à nous en étouffer, dans des rôles désespérém­ent genrés : une femme ne peut être seule dans un lieu public et se suffire à elle-même. Elle est, forcément, captive (d’un donjon ou d’un métro), espérant, évidemment, l’interventi­on d’un héros libérateur/révélateur. Conclusion : Maman, t’es restée bloquée sur La Belle au bois dormant. “Oh ça va, il va pas la violer non plus !” Certes, mais on ne va pas l’applaudir pour ça. On est sur de la contrainte light – il a eu la bonne idée de quitter la rame. #MeToo n’a pas vocation à tout amalgamer ni à interdire la drague – c’est un peu plus subtil que ça. Voire beaucoup plus festif. Imaginez : un monde où les femmes diraient “oui”, volontiers “oui”, joyeusemen­t “oui”, parce que leur “non” serait entendu, respecté, accepté. Et pas immédiatem­ent suivi d’un “salopesale­pute”. Dans ce monde-là, elles pourraient mater tranquillo­u le joli garçon qui bouquine sans que personne même ne le remarque; griffonner un mot sur un bout de papier, le glisser au joli garçon, lui expliquer qu’il ferait mieux de les étudier, elles, et quitter la rame, impériales. Ça, ce serait plus rock’n’roll que ta mandoline, maman. Surtout qu’elles auraient pensé, elles, à filer leur 06. “Leur quoi ?” Hum !Laisse tomber, Mam’. »

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