Marie Claire

ELLE VOYAGE EN SOLIDAIRE

- Par Emily Barnett

Filmée à l’état brut, Frances McDormand nous émeut aux larmes au milieu des vagabond·es qui sillonnent les grands espaces américains de Nomadland*. Une balade sauvage et féministe, entre néo-western et road-movie existentie­l, d’une beauté à couper le souffle.

À bord de LES NUITS DE FERN SONT RUDES. son truck aménagé, cette sexagénair­e sillonne les grands espaces de l’Amérique, ses climats contrastés. Bravant tempêtes et canicules, elle survit de petits boulots, un jour serveuse dans un bar, l’autre manutentio­nnaire dans une usine de colis Amazon. Fern est une «hobo». Une vagabonde. Elle mène une vie itinérante par choix, soif de liberté, loin des existences sédentaire­s. Loin, aussi, d’une certaine idée du confort moderne et de la consommati­on. Celle qui la filme a déjà excellé à décrire le monde marginal: son premier long métrage, une fiction documentai­re, se déroulait dans une réserve indienne (Les chansons que mes frères m’ont apprises, en 2015) et le second dans une région pauvre habitée par des amateurs de rodéos (The rider, en 2017). Chloé Zhao filme avec grandeur les oublié·es du système, les déraciné·es. Et on se prend à rêver à ce qu’auraient été les westerns s’ils avaient été mis en scène par des femmes. John Wayne aurait ressemblé à Frances McDormand: actrice filmée ici à l’état brut, le visage buriné comme celui d’un vieux chef indien. Les héros n’auraient pas été des cow-boys à la gâchette facile, mais cette communauté de voyageur·ses solidaires lié·es par l’entraide et la débrouille. On suit Fern et ses ami·es… elle surtout, que la mélancolie dévore (elle a perdu un mari) mais qui se ménage des instants de pure contemplat­ion : la rougeoyant­e beauté d’un coucher de soleil, l’harmonie humaine d’un campement éphémère, et cette traversée de décors grandioses, comme captés pour la toute première fois. Avec un lyrisme qui arrache des larmes. Après Andrea Arnold et sa belle cavalcade enfiévrée (American honey), Kelly Reichardt et son art des errances impression­nistes (Wendy et Lucy, Certain woman), Chloé Zhao rejoint le club très prisé des réalisatri­ces qui ont su régénérer un cinéma indépendan­t américain à bout de souffle ces dernières années. Nomadland a d’ailleurs obtenu le Lion d’or à la dernière Mostra de Venise. Une célébratio­n du voyage qui, dans un monde confiné, ne pouvait que produire un bouleversa­nt appel d’air.

(*) De Chloé Zhao, avec Frances McDormand, David Strathairn, Linda May, en salle le 24 février.

 ??  ?? Frances McDormand, nomade époustoufl­ante des grands espaces américains.
Frances McDormand, nomade époustoufl­ante des grands espaces américains.

Newspapers in French

Newspapers from France