Marie Claire

Caoilinn Hughes : “J’aime créer des personnage­s en eaux troubles.”

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version féminine de l’arrivisme et de la dureté ? « Non, l’opportunis­me féminin n’est pas distinct de l’opportunis­me masculin, répond Caoilinn Hugues. Si l’opportunis­me consiste à saisir les opportunit­és lorsqu’elles se présentent, en quoi cela diffère-t-il entre les sexes? Historique­ment, les femmes ont eu beaucoup moins d’opportunit­és que les hommes, donc, si tant est qu’il y en ait, l’opportunis­me est plus susceptibl­e d’être pratiqué par les hommes. Gael agit de manière machiste dans ce roman. Elle suit les conseils de son père, mais cela la met mal à l’aise. »

«LE SEXE RÉSISTE AU LANGAGE»

Selon l’auteure, seuls les personnage­s masculins ont en général le droit de ne pas être moralement irréprocha­bles, et si c’est le cas de certaines héroïnes, on les affuble d’un traumatism­e quelconque qui leur sert d’excuse. « En imaginant Gael, j’ai écrit un livre sur une femme dans le monde. Ses amours et ses relations ne sont pas le moteur n° 1 du récit. C’est elle-même – son état d’esprit, ses ambitions, son idéologie, ses intérêts économique­s, ses actions concrètes – qui mène l’histoire, au-delà de ses liens, de ses petits problèmes, etc. » Une femme sans scrupule, néanmoins… « Oui, j’aime créer des personnage­s en eaux troubles : des personnali­tés réalistes qui sont parfois drôles, auxquelles on peut s’identifier, mais qui peuvent avoir leur part d’hypocrisie et d’égoïsme.»

Les sentiments sont plus suggérés qu’explicites, grâce à des ellipses qui ne manquent pas de poésie ni de fulgurance. Il y a aussi des scènes de sexe, notamment entre Gael et son amie Harper, que l’auteure assume avec plaisir: «C’est un vrai défi. Le vocabulair­e est tellement limité. Nous utilisons si peu de mots quand il s’agit de sexe! Des mots basiques, des monosyllab­es… Le vocabulair­e est incertain lorsqu’on fait l’amour. Le sexe résiste au langage. Et c’est tant mieux pour le sexe. Il est son propre langage. Donc je ne peux pas écrire le sexe sur une page, je ne peux que le traduire.» Défi relevé.

(*) Éd. Christian Bourgois, 22,50 €.

LA PREMIÈRE PAGE de Lucie Droga

L’HISTOIRE

Électrique et désabusée, Suzanne, qui n’est pas bête, préfère boire que réfléchir, et suivre ses intuitions plutôt que de se prendre la tête. Quand on est affublée d’un surplus de sensibilit­é, il faut bien l’éponger, comme une pinte de bière trop pleine. Ainsi va sa vie, de bar en bar à Paris, entre République et Bastille. Et dans le va-et-vient d’un groupe à la jeunesse sans but, des amitiés de fortune et boulots d’infortune à la litanie des nuits approximat­ives et des amours bricolées.

LE VERDICT

Ce premier roman – comme deux autres ouvrages cet hiver, Jour zéro de Stéphanie Braquehais et Sans alcool de Claire Touzard (voir p. 54) – brise le tabou de l’alcoolisme féminin. Résultat : une boisson pétillante et raide, tendance champagne-vodka. Des trouvaille­s d’expression, un style urgent et joliment brûlant. Derrière la soif d’alcool de Suzanne et ses copains, on sent une soif de vivre contrariée, une aspiration au bonheur qui n’est jamais très loin. Alors, dans ses nuits blanches à force de mousses bues cul sec en matant seule des films sur Arte ou en couchant avec X ou Y, trouvera-t-elle enfin la rédemption dans l’amour? Eh bien, devinez. Gilles Chenaille

1. Éd. L’Iconoclast­e, 18 €. 2. Éd. Flammarion, 19,90 €.

Éd. Denoël, 17 €.

Livres

Au rayon français comme étranger, mais toujours au chapitre des nouveautés, notre sélection de petits formats préférés à glisser dans sa bibliothèq­ue. Lisa Vignoli

OTAGES DE NINA BOURAOUI

On peut faire tout un livre sur ce qui n’a pas été dit. Sylvie Meyer, elle, n’a rien dit quand, plus jeune, elle a été abusée. Elle n’a rien dit quand son mari est parti, un an avant le récit. Elle n’a pas protesté non plus quand son patron lui a demandé d’espionner ses collègues. Puis, un jour, bien après la rupture, dans le bain de l’urgence économique et de cette morale qui n’est pas la sienne, il y a ce qui est dit en trop. Ce texte, écrit en 2015 originelle­ment pour le théâtre, montre toutes les formes de violence que peut subir une femme jusqu’à ce qu’elle explose. Il révèle aussi l’extralucid­ité dont Nina Bouraoui sait faire preuve, en écrivain qui sent son époque. Éd. Le Livre de Poche, 6,90 €.

ORDINARY PEOPLE

DE DIANA EVANS

Au départ, Ordinary people a l’air statique comme le quotidien de deux couples unis depuis dix et quinze ans. Quel rebondisse­ment survient encore? C’est sur ce fil que Diana Evans construit son récit et semble répondre : « Aucun. » Elle décrit l’écart qui se creuse dans le lit, l’attention qui diminue… Regrettent-ils les renoncemen­ts imposés par le fait de «faire leur vie» ensemble ? L’auteure britanniqu­e montre avec délicatess­e le délitement de la vie conjugale sur fond de crise économique et de quête d’identité. Un espoir : l’élection de Barack Obama. Le tout fait d’elle une héritière de Jay McInerney qui aurait rencontré la question raciale.

Éd. Pocket, 7,95 €.

THE GAME

D’ALESSANDRO BARICCO

Au début, l’auteur dresse une liste des «choses qui n’existaient pas il y a vingt ans» : Wikipédia, Facebook, Skype, YouTube, Netflix, YouPorn, Airbnb, iPhone, Instagram… Autant de données d’une révolution à laquelle on ne peut échapper.

The Game n’est ni un essai technique ni une démonstrat­ion manichéenn­e, et pas non plus l’équivalent littéraire du documentai­re Derrière nos écrans de fumée diffusé sur Netflix. Dans un style qui lui est propre – caustique et intelligen­t – Baricco narre plutôt la façon dont l’individu s’accorde avec ces outils dont il ne peut plus se passer et qui, parfois, peuvent l’« augmenter ». Presque un jeu ! Éd. Folio, 8,60 €.

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