Marie Claire

“Tomber enceinte, c’était ce qu’il ne fallait pas qu’il arrive”

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«Une jeune femme est venue à la Cartoucher­ie pour me demander de signer. C’était un matin, avant la répétition, les comédienne­s étaient en train de se changer. J’ai trouvé le texte audacieux et légitime. Mais j’avais un problème car je n’avais pas avorté. Est-ce que je pouvais signer un mensonge? J’ai quand même demandé deux jours de réflexion et j’ai compris la portée symbolique de la démarche. La loi contre l’avortement, c’était vouloir frapper les femmes du sceau de l’infamie. Le manifeste soulevait le rideau en affirmant: “Vous nous condamnez à une hypocrisie, à la clandestin­ité, à des risques.”

En plein XXe siècle, c’était le XIXe.

En 1971, ce n’était pas n’importe quoi de dire qu’on avait avorté. Je n’avais pas peur. Il ne faut pas exagérer, nous n’étions pas au Chili ni au Pakistan. Mais je faisais partie de celles qui pensaient que nous risquions, peut-être pas la prison, mais d’être interrogée­s. Au théâtre du Soleil, on parlait sexualité, homosexual­ité même, pas trop de l’avortement. Ça se chuchotait. Forcément, l’illégalité imprimait une peur. C’était vraiment une très grosse tuile, plus qu’une tuile: c’était ce qu’il ne fallait pas qu’il arrive. Qu’est-ce que ça voulait dire, dans certains milieux, cette expression “tomber enceinte”? Comme on dit “tomber dans le péché, la prostituti­on, l’alcool”. C’est terrible. Les jeunes femmes de maintenant ne se rendent pas compte de ce que c’était d’avorter, pas plus que nous ne nous rendons compte de ce que voulait dire être brûlée vive au Moyen Âge.»

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