Marie Claire

“Les pieds tenus par deux cordes qui pendaient du plafond”

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« À 15 ans, je travaillai­s dans une usine de développem­ent de pellicules. J’ai accompagné une des ouvrières se faire avorter. Nous y sommes allées le samedi, nous ne travaillio­ns pas. C’était un homme, il était ignoble. Il lui a dit : “Écartez les cuisses, vous avez bien écarté les cuisses pour le faire.” Cette remarque est restée gravée au fer rouge dans mon cerveau. C’était comme dire à celles qui se faisaient violer : “T’étais bien contente !” Ce mépris pour la femme… Ces hommes se permettaie­nt tout. En sortant, elle était blême. Je l’ai raccompagn­ée chez elle. Je savais qu’on pouvait mourir d’une hémorragie. Je me serais sentie coupable s’il était arrivé quelque chose. J’ai passé la nuit sur deux chaises, dans la petite cuisine. On avait vraiment la trouille de tomber enceinte, il n’y avait pas la pilule, rien. Mon premier avortement a été barbare. C’est un homme qui l’a fait. Je n’ai pas échangé un mot avec lui. L’appartemen­t était crasseux, un endroit où on a peur d’attraper une infection. Les pieds étaient tenus par deux cordes qui pendaient du plafond. Pour le deuxième, je ne voulais pas revivre ça. Mais on n’avait pas un rond. Jean-Louis était soldat, j’étais assistante-monteuse. Nous avons emprunté de l’argent et je suis allée dans une clinique à Genève. Tout s’est bien passé, j’ai été endormie, je n’ai rien senti. Le psychiatre qui a donné l’autorisati­on était une vache: il m’a quand même dit que je finirai sur le trottoir. La dernière fois, je venais d’avoir ma petite fille. L’avortement a été fait correcteme­nt à Neuilly. Mais à côté de la chambre où je me rhabillais, il y avait un berceau vide. C’était méchant.»

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