Maxi Cuisine

ESCAPADE GOURMANDE Le Pas-de-calais ne perd pas le nord !

De la campagne riante au charme d’autrefois de la côte d’opale, le Pas-de-calais révèle de nombreux talents.

- Par Sophie Javaux

Falaises crayeuses et immenses plages de sable, cap Gris-nez et cap Blanc-nez étendent leur paysage et leurs couleurs sur 23 kilomètres. Aux abords, le port mythique de Boulogne, Hardelot, Wimereux au charme Belle Époque offrent des ambiances différente­s. Quant à la campagne vallonnée du Boulonnais, elle réserve bien des surprises avec ses demeures historique­s, nichées dans leurs parcs et ses villages pimpants. L’autre surprise vient en s’éloignant de la côte d’opale jusqu’au marais audomarois, un lieu unique, mosaïque de terres et d’eau métamorpho­sée au fil du temps par l’homme.

Le hareng, poisson roi à Boulogne

Boulogne-sur-mer vit au rythme de la pêche, du ballet des chalutiers et du cri des mouettes. Sur ses quais, il est donc naturel de trouver l’atelier de salaison et fumaison de poissons de Cédric Corrue. Celui-ci avec son frère Pierre perpétue la tradition, instaurée par leur arrière-grandpère : « En 1930, il y avait environ 90 ateliers de salaison/fumaison. Aujourd’hui, nous ne sommes plus que quatre. Nous transformo­ns 1 000 tonnes de poissons par an dont 500 tonnes de produits finis de hareng, un poisson riche en oméga 3. Nous achetons celui-ci entre novembre et décembre. Il a alors un taux de matière grasse intéressan­t pour la fumaison. » C’est, d’ailleurs, un des derniers ateliers à fumer traditionn­ellement dans de grandes cheminées avec du bois de hêtre qui apporte le goût au produit. Il faut environ 14 à 18 heures, en fonction de la météo, pour obtenir un poisson fumé à coeur et, comme le précise Cédric, « avec

le goût de l’authentici­té. Rien à voir avec une fumaison électrique en 6 heures ! Dans notre atelier, il existe deux types de fumage. Le premier à froid à 28 °C, le poisson peut alors faire l’objet – ou non – d’une cuisson après. C’est le cas du saumon, du haddock (églefin fumé et coloré avec du roucou), du bouffi (hareng fumé entier) et du kipper (hareng éviscéré fumé).

« Le port de Boulognesu­r-mer culmine au premier rang des ports de pêche français. »

Le haddock peut se manger froid en salade nordique, le kipper est excellent passé 10 mn au barbecue ou au four en papillote 20 mn à 200 °C, pour libérer les arômes. Et une fumaison à chaud à 70 °C comme les filets de maquereaux qui, eux, se mangent froid. » Dans l’atelier, une femme attire notre attention. Munie d’un couteau spécifique, elle découpe des filets. Cédric nous éclaire « Catherine est une des dernières fileuses de hareng, un véritable savoir-faire pour prélever les filets à partir d’un poisson entier fumé. On va alors obtenir un filet plus fin, plus fondant et moelleux. Alors que si le filet est prélevé au préalable et fumé ensuite, il sera plus sec ». À noter que tout poisson fumé se conserve au frais, de 14 à 21 jours, selon l’espèce.

Chez Mémère Harlé, un secret bien gardé

Aurélie Rault et son mari Steve ont racheté cet estaminet, créé en 1919 par Mémère Harlé. Les faïencerie­s murales de Desvres, classées, dans la salle de restaurant valent déjà le déplacemen­t mais leur renommée vient : « de la tarte au papin ! Nous sommes les détenteurs de sa recette qui se transmet uniquement oralement ! » annonce Aurélie. Certes, mais qu’est donc ? « Ça vient du nom de la colle à papier auquel le mélange fait penser. En fait, c’est une tarte au libouli ! » Mais encore ? Aurélie sourit : « libouli : au lait bouilli ! C’est, en fait, une pâte briochée avec une sorte de crème pâtissière, réalisée avec les produits de trois fermes des environs : lait, oeufs, beurre, crème. Quatre pruneaux en signe de croix car Mémère Harlé, très pieuse, avait un fils évêque. Des croisillon­s dessus en pâte briochée et un contour en pâte feuilletée pour faire un

gros bord ». Surtout, la cuisson est assurée, par Steve, dans un four à bois : « Nous sommes les seuls à faire cette tarte avec un tel four, ce qui explique que même les gens du Nord font des kilomètres pour venir l’acheter ! » Préparées uniquement pour le week-end, Aurélie et Steve font 2 ou 3 fournées de 50 à 70 tartes qui doivent reposer 10 à 12 heures avant d’être servies et se conservent 3 à 4 jours au frais. « Quand on rentre dans une maison comme celleci, l’histoire vous prend, vous habite. On propose donc le menu Tradition, le même depuis 1919 (et un événement chaque dimanche !) : potage velouté, langue de boeuf, gigot à la paysanne, fromage et tarte au papin. Je pense que Mémère Harlé est contente de nous », conclut Aurélie.

Les fraises de Samer poussent en terre !

Maxime Vasseur, producteur à Samer depuis 2013, explique ce qui devient de nos jours une réelle spécificit­é : « La production en terre ne représente aujourd’hui que 10 % du marché, le reste pousse hors sol. Deux facteurs expliquent cela. Le fait que l’on ne puisse multiplier les surfaces et la main-d’oeuvre qui ne veut plus se baisser. Le label fraises de Samer veut que la fraise pousse en pleine terre, que ce soit sous serre ou non. Elle va exprimer le terroir et avoir plus de goût. Nous avons cette chance de ne jamais avoir de grand coup de chaud ni de froid, c’est idéal pour la fraise. En cas de grosse chaleur, le fruit durcit en mûrissant d’un coup. Alors que

là, elle va prendre son temps et faire son jus… » Avec sa femme Adeline, ils cueillent sept jours sur sept, matin et soir, de la cléry, de l’annabelle, de la ciflorette, de la Mara des bois, soit environ une quinzaine de variétés différente­s pour étaler leur production jusqu’en octobre-novembre. « Sur la fin, ce sera un fruit parfait pour la pâtisserie ou les confitures. » Elles sont vendues sous 24 h sur les marchés mais également dans un distribute­ur automatiqu­e, en plein coeur de Samer. « Cet accès aux produits frais plaît vraiment aux gens, d’ailleurs le week-end, on peut aller approvisio­nner le distribute­ur jusqu’à cinq fois dans une même journée ! »

Le maraîchage, histoire d’eau

Le marais audomarois est, depuis le XIXE siècle, un cadre propice à la culture maraîchère. Sillonné de canaux accessible­s en bacôve, longue barque en bois à fond plat que certains utilisent encore, il a, cependant, été relié par des routes et des ponts pour donner accès aux tracteurs. Loïc Boulier, maraîcher bio, y cultive une quarantain­e de légumes différents – à la force des bras uniquement – vendus sur le marché de Saint-omer. « Plus de 20 % de mes semences sont produites sur place, avec un objectif à 80 %. L’idée est de retravaill­er avec des vieilles variétés du marais, comme le poireau leblond. On peut, sur ces terres, cultiver énormément de légumes, le sol est nourri par les vases. » Si, lui, ne s’est pas encore attaqué à cette culture, le marais audomarois a développé un savoir-faire autour du chou-fleur d’été, récolté de mai à novembre. Ce qui n’empêche pas Loïc de nous apporter quelques précisions : « Côté saveur, il a un goût en bouche plus léger que le breton. Pour bien le choisir, il faut s’assurer que ses feuilles sont fraîches, d’une couleur vert pâle, et ses fleurettes d’une belle blancheur, sans tache et bien serrées. » Autre spécificit­é de la région qui fait couler beaucoup d’eau : le cresson. Dans une zone entre Aire-sur-la-lys et Béthune, ils sont une quinzaine de producteur­s dont Bertrand Bouclet, qui possède la cressonniè­re de Blessy : « Le cresson pousse dans 2 à 3 cm d’eau, dans une eau circulante alimentée par des sources ou des puits artésiens. Chaque racine peut donner jusqu’à 5 ou 6 coupes (ou récoltes). Sur mes trois cressonniè­res, la saison s’étale de mi-août à mi-mai, avec une pointe en hiver car le cresson se consomme principale­ment en soupe. Or, on a oublié que c’est une salade et c’est là qu’il est le meilleur ! Il a un goût plus prononcé, pique en bouche comme la roquette ou le radis. Alors qu’en soupe, il perd de son piquant, il a moins d’amertume. » Une fois cueilli, le cresson tient 6 à 8 jours au frais, dans un univers humide comme une boîte hermétique ou un torchon humide. Et Bertrand de poursuivre : « Faites-le revenir 2 à 3 mn à la poêle sans matière grasse, il remplace les épinards. Ou bien dans une tarte à la place du poireau. Vous vous régalerez ! »

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ?? 1. La plage de Boulogne-sur-mer aligne ses pittoresqu­es cabines de bain. 2. Cédric Corrue à la tête d’un des derniers ateliers à fumer traditionn­ellement le poisson. 3. Balade dans le marais de Saint-omer avec les « Faiseurs de bateaux ». 4. Troupeau de moutons sur les falaises du cap Blanc-nez. 5. Wimereux réserve bien des surprises avec son architectu­re Belle Époque.
1. La plage de Boulogne-sur-mer aligne ses pittoresqu­es cabines de bain. 2. Cédric Corrue à la tête d’un des derniers ateliers à fumer traditionn­ellement le poisson. 3. Balade dans le marais de Saint-omer avec les « Faiseurs de bateaux ». 4. Troupeau de moutons sur les falaises du cap Blanc-nez. 5. Wimereux réserve bien des surprises avec son architectu­re Belle Époque.
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ?? 1. Le hareng saur, spécialité boulonnais­e. 2. Aurélie Rault et son mari Steve détiennent la recette de la tarte au papin de Mémère Harlé. Un sacré héritage ! 3. D'impression­nantes façades bordent la Grand’place de Béthune. 4. Distribute­ur automatiqu­e de produits frais installé par Maxime Vasseur, à Samer. 5. Maxime Vasseur et sa femme Adeline pour l'amour de la fraise de Samer.
1. Le hareng saur, spécialité boulonnais­e. 2. Aurélie Rault et son mari Steve détiennent la recette de la tarte au papin de Mémère Harlé. Un sacré héritage ! 3. D'impression­nantes façades bordent la Grand’place de Béthune. 4. Distribute­ur automatiqu­e de produits frais installé par Maxime Vasseur, à Samer. 5. Maxime Vasseur et sa femme Adeline pour l'amour de la fraise de Samer.
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ?? 1. Loïc Boulier, maraîcher bio, cultive une quarantain­e de légumes dans le marais de Saint-omer. 2. Bertrand Bouclet rappelle que le cresson est avant tout une salade !
1. Loïc Boulier, maraîcher bio, cultive une quarantain­e de légumes dans le marais de Saint-omer. 2. Bertrand Bouclet rappelle que le cresson est avant tout une salade !
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France