Maxi

«J’ai attrapé le chromosome du bonheur !»

Née avec une malformati­on cardiaque, atteinte de trisomie 21, Éléonore mène une vie radieuse et milite pour le droit au respect.

- Éléonore

LDepuis ma plus tendre enfance, je souriais pour rassurer mes parents

ongtemps, j’ai rêvé de mon petit chezmoi, d’une chambre et d’un bureau, avec des couleurs vives partout. Quand mon grand frère a eu son appartemen­t, je me souviens avoir pensé : « Pourquoi pas moi ? » Comme beaucoup d’adolescent­s, je m’imaginais vivre sans mes adorables parents dans les jambes… libre et indépendan­te ! Vu de l’extérieur, pour beaucoup, c’était inenvisage­able. Pourtant, quelques années plus tard, j’ai réussi. Maintenant, j’ai un bel appartemen­t, aux tons éclatants, à mon image. C’est moi qui ai choisi la décoration. Au-dessus du canapé rouge, j’ai affiché des posters de mes groupes préférés. Je suis à la fois une fille différente et comme les autres… Il paraît que je me suis toujours bien accrochée. Évidemment, je ne m’en souviens pas, mais mes parents m’ont raconté combien mes premiers mois ont été difficiles. Ils ont appris, à ma naissance, que j’étais atteinte de trisomie 21. Mais surtout, et bien plus grave à leurs yeux, les médecins ont aussi détecté chez moi une malformati­on cardiaque. Certains ont même conseillé à ma mère de ne pas s’attacher à moi, voire d’arrêter de m’allaiter ! Heureuseme­nt, mes parents ne les ont pas écoutés. Un mois après ma naissance, j’ai subi ma toute première opération à coeur ouvert. Pendant des mois, je suis restée entre la vie et la mort. Pourtant, ma famille raconte que, déjà, je souriais tout le temps pour les rassurer. Il a fallu deux autres interventi­ons pour me sauver. Ils ont toujours voulu y croire. « Je suis contente que t’es pas morte », m’a dit mon grand frère de 4 ans et demi quand je suis finalement rentrée à la maison. Je n’étais pas une enfant comme les autres, c’est certain. Et je n’étais pas au bout de mes peines non plus : après avoir lutté pour survivre, il a fallu me battre pour vivre comme les autres. Je sais bien que je suis différente de tout le monde. Dès mon plus jeune âge, j’ai subi certaines moqueries et quelques regards de travers. Malgré tout, je reste toujours heureuse et de bonne humeur. J’essaie de dédramatis­er ce qui m’arrive. Je suis atteinte de trisomie 21, et alors ? Je préfère me dire que j’ai juste un chromosome en plus. Et, comme dit mon père, c’est sûrement le chromosome du bonheur. Je ne vois pas la trisomie comme un handicap mais comme une maladie génétique avec laquelle on peut vivre. À 3 ans, je suis entrée en maternelle. Mes parents voulaient absolument que je fasse ma scolarité en milieu ordinaire alors que, chaque année, des commission­s d’orientatio­n voulaient m’envoyer vers des établissem­ents spécialisé­s. Mon père a fondé l’associatio­n Down Up et permis l’ouverture de la première Clis (Classe d’intégratio­n scolaire) du Pas-de-Calais. Grâce à leur persévéran­ce, j’ai progressé et pris confiance en moi. Rien ne m’a été interdit. J’ai appris à jouer de la guitare électrique. J’aime la musique et je vais souvent à des concerts. J’ai eu quelques petits amis et je suis inscrite sur les réseaux sociaux. Aidée à l’école maternelle par une assistante, puis au collège par une auxiliaire de vie scolaire, j’ai poursuivi mes études jusqu’au BEP secrétaria­t. Je n’avais aucune envie de me diriger vers des métiers manuels comme la cuisine ou le ménage. Je voulais faire un travail administra­tif et apprendre l’informatiq­ue. À 20 ans, j’ai décroché mon premier contrat dans le service facturatio­n d’un hôpital privé. Aujourd’hui, j’ai conscience de ma chance et je veux me battre pour les autres. Je ne sais pas si j’aurais pu arriver où j’en suis sans l’aide de mes parents. Quand j’ai signé mon CDI, j’ai enfin pu emménager dans mon propre appartemen­t. Il a été aménagé dans une ancienne clinique. Je vis dans un complexe pilote de soixante-quinze logements, dont dix sont prévus pour des personnes atteintes de trisomie. Il abrite aussi des personnes âgées, des familles à revenus modestes ou des cadres, avec des animateurs et des lieux de rencontre pour favoriser les liens entre locataires. C’est seulement en se mélangeant que le regard des autres peut changer. Pour aider les enfants et adultes comme moi, le collectif Les Amis d’Éléonore a également été lancé en 2010. J’en suis la porte-parole. Nous sommes 65000 à

être atteint de trisomie 21 en France et personne ne nous entend. Je n’oublierai jamais ma première conférence de presse. « J’ai plus de chromosome­s qu’eux ! », ai-je blagué face à l’assistance, nombreuse, pour me donner du courage. Notre message est simple : nous refusons que les enfants et les adultes atteints de trisomie 21 soient stigmatisé­s. Très vite, dans ma région, les regards ont changé. Quand on m’arrête dans la rue, c’est souvent pour me féliciter parce qu’on me reconnaît. J’ai aussi publié un livre pour dédramatis­er L beaucoup de choses*. ’an dernier, j’ai été reçue à l’Élysée pour présenter les 21 propositio­ns de notre collectif. J’ai pu expliquer à des collaborat­eurs du président de la République tous les obstacles qui jalonnent le parcours des jeunes atteints de trisomie 21. Je veux me battre pour que le regard des autres change un peu, mais aussi pour les aider à conquérir une vraie place à l’école, dans la société et en entreprise. Finalement, c’est une maladie qui n’est pas forcément si lourde à porter, si on est bien entourés. Ma mère m’a souvent dit qu’elle était heureuse de ne pas avoir su que j’étais trisomique pendant sa grossesse, car elle ne sait pas ce qu’elle aurait fait. C’est pourquoi je respecte le choix des parents qui n’envisagent pas de garder un enfant trisomique. Je dis juste qu’il faut aider la recherche, et surtout informer, rassurer les parents concernés face aux réalités de la maladie. J’aimerais que les médecins arrêtent de prononcer des mots durs, qui blessent et font peur. Quand un enfant est là, il faut lui donner toutes les chances d’être heureux et de réussir sa vie, car c’est possible.

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