Maxi

« À 57 ans, je me sens enfin exister »

Mariée quarante et un ans à un homme autoritair­e, Brigitte lui a toujours été très soumise. Après le décès de son conjoint, elle a tenu la promesse qu’elle lui avait faite : vivre sa vie pour elle.

- Brigitte

À16 ans, je rêvais de devenir infirmière. Au lycée, mes professeur­s avaient confiance en moi. Mais un matin d’octobre 1974, ma vie a soudain pris un nouveau virage : j’avais du retard dans mes règles. Dans ma région, régnait toujours la mentalité du « qu’en-dira-t-on » : on ne couchait pas avant le mariage et une fille mère, c’était la honte. Sans même vérifier si j’étais bien enceinte, ma mère a organisé mon mariage avec Robert. Une semaine plus tard, les bans étaient publiés à la mairie. J’aimais mon ami, mais je n’avais pas prévu de me marier dans ces conditions. Et, surtout, cette union scellée à la va-vite et sans invités, a signé la fin de mes études.

J’aurais, bien sûr, pu les reprendre après la naissance de notre premier enfant.

Mais quand j’ai fait part de ce souhait à Robert, il m’a répondu : « Une femme reste au foyer et élève ses enfants. » Et la conversati­on s’est arrêtée là. J’avais passé dix-sept ans à dire oui à ma mère très autoritair­e, et voilà que, face à cet homme de six ans mon aîné, je me retrouvais dans la même situation, incapable de dire non. Je me revois attendre du matin au soir le retour de mon mari qui, pour son métier, était souvent sur les routes. Je me sentais si seule. Alors, pour passer le temps, j’écrivais. J’avais toujours adoré cela. Je me revois encore consigner mes confidence­s les plus intimes dans un gros cahier. Je me disais qu’un jour je deviendrai écrivain ! Avec le recul, je me demande toujours pourquoi j’ai accepté si docilement tous les desiderata de mon époux. Est-ce ma différence d’âge avec Robert qui me faisait craindre ses réactions ? Ou bien la mentalité de l’époque, où les femmes restaient encore très soumises aux hommes ? Si Robert décidait que je devais porter telle robe, je la mettais ; s’il refusait que je me maquille, je l’écoutais. Il décidait de tout et j’exécutais. Je me souviens d’un jour où je suis rentrée des courses avec dix minutes de retard. Face à Robert qui exigeait des explicatio­ns, l’idée de divorcer m’a traversé l’esprit. Si je n’avais pas tourné sept fois ma langue dans ma bouche pour éviter d’exprimer toute ma colère, qui sait ce que serait devenu mon mariage ? Mais pour les enfants (nous en avions trois à l’époque), j’ai tenu bon.

Bizarremen­t, au moment où je m’y attendais le moins, et certaineme­nt pas de la façon dont je l’aurais souhaité,

la vie m’a cruellemen­t offert la possibilit­é d’exaucer mon rêve de jeune fille. À l’âge de 41 ans, Robert a eu un infarctus. J’ai alors appris à enlever une perfusion, à faire des pansements. Pour lui, j’ai tout fait, sauf les piqûres. C’est là que j’ai réalisé que finalement, infirmière, ce n’était pas si drôle que ça ! Malheureus­ement, l’expérience ne s’est pas arrêtée là. Cinq ans plus tard, mon mari ne pouvait plus poser le pied par terre. Selon les médecins, Robert avait besoin d’une prothèse de hanche pour remarcher, alors il s’est fait opérer. À son retour à la maison, de nouveau, je lui ai fait ses soins. En tout, mon mari a été malade durant vingttrois ans : peu à peu, il a développé un diabète, ensuite une insuffisan­ce rénale, puis il s’est retrouvé en chaise roulante… Finalement, en 2012, il a été atteint d’un cancer de la vessie et de la prostate qui s’est progressiv­ement généralisé. Pour continuer à m’occuper de lui à la maison, j’ai dû suivre de nombreuses formations. Quand son médecin venait, il ne manquait jamais d’éloges à mon sujet : j’étais sa meilleure infirmière ! Sauf qu’à présent, je m’en moquais bien, j’aurais voulu tout sauf exercer ce métier-là ! Alors, pour supporter ce quotidien pesant, je continuais d’écrire régulièrem­ent… Quand Robert me voyait remplir mon cahier, il me disait souvent : « Quand je ne serai plus là, tu écriras mon histoire, au moins je n’aurais pas souffert pour rien. » Au fil du temps, sa douleur me devenait de plus en plus insupporta­ble. Et puis un matin d’août 2015, quand

Quel bonheur intense lorsque j’ai reçu la réponse positive de l’éditeur !

je l’ai vu dans son lit, j’ai su que c’était la dernière heure que je passais avec lui. Il m’a tendu la main. Jamais je ne pourrai oublier son regard quand il m’a dit : « Maintenant tu vas vivre pour toi. » Bien sûr, j’étais effondrée. On n’efface pas quarante et un ans de mariage en un claquement de doigts. Mais je me sentais également libérée… Tant pis si je choque mais, à 57 ans, j’avais l’étrange sentiment que ma vie commençait enfin. Les mois qui ont suivi ont été très pénibles, plusieurs fois je me suis retrouvée à manger du pain sec le soir. Sans doute m’aura-t-il fallu traverser ces épreuves pour enfin apprendre à dire non à ce que je ne voulais plus et à me créer une nouvelle vie, celle à laquelle j’aspirais depuis si longtemps. Je me rappelle le jour où j’ai posté mon premier manuscrit. Et l’intense bonheur que j’ai ressenti lorsque, un mois plus tard, l’éditeur m’a répondu positiveme­nt… J’étais enfin écrivain ! Alors, pour fêter cela, je me suis offert – pour la première fois de ma vie ! – une soirée en discothèqu­e. L’expérience m’a tellement plu que depuis, chaque samedi soir, je saute dans la tenue de mon choix et, bien maquillée, j’y retourne pour danser jusqu’à pas d’heure ! Rencontrer un homme, pourquoi pas ? Mais attention, pas n’importe qui ! J’ai, à présent, mes exigences. Mon existence a pris une tournure incroyable, et elle a été si intense que je pense pouvoir écrire encore des dizaines de livres. À la rentrée, je tiendrai une chronique régulière au sein d’une émission d’une chaîne de télévision locale. Pour la première fois de ma vie, je me sens enfin exister !

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