Maxi

Une bénévole au grand coeur

« Je prête mes yeux à ceux qui ne voient plus clair »

- Patricia

on bonheur, c’est de créer des duos, mais pas sur le plan sentimenta­l ! C’est sur le plan oculaire ! Je « marie » des bénévoles à des malvoyants ou aveugles du voisinage qui en font la demande auprès de mon associatio­n, Les Auxiliaire­s des aveugles *. L’antenne de mon départemen­t, l’Essonne, c’est moi qui l’ai créée dès que j’ai mesuré le rôle que l’on pouvait jouer dans la vie d’un déficient visuel juste en lui consacrant un peu de son temps : pour lui permettre d’aller au marché, de faire du shopping, mais aussi pour aller chez le médecin ou à la piscine. Il y a encore deux ans, pourtant, je n’avais aucune connaissan­ce de ce handicap. Mais, en préretrait­e de chef de projet dans l’industrie, je voulais faire quelque chose de ma vie en dehors de mon rôle de grand-mère de cinq petits-enfants. J’ai connu l’associatio­n par un collègue de travail, ancien bénévole lui-même, qui avait accompagné un étudiant en maths à ses examens. Sans lui, ce jeune homme aurait certaineme­nt eu un parcours différent. J’ai trouvé cela formidable ! La première personne dont je me suis occupée moi-même était écrivain. En lui prêtant ma vue, je lui rendais carrément un peu de sa vie. Il habitait à une trentaine de kilomètres. Plus près de chez moi, il n’y avait pas d’antenne et, convaincue de cette idée, j’ai pu la créer avec l’accord du président. Depuis, je gère les offres et les demandes, tout en gardant une mission de terrain auprès de cet écrivain avec lequel tout a commencé. Je continue à y aller deux heures tous les quinze jours, même si nos liens, devenus amicaux, font désormais un peu déborder la séance d’une petite demiheure pour discuter, par exemple. C’est une activité pleine d’humanité qui ne se borne pas à du service, loin de là ! Ne pas pouvoir lire, à l’ère d’Internet, c’est vraiment terrible : comment remplir en ligne ne serait-ce que son dossier handicap quand on est aveugle ? Bien sûr, il y a des logiciels pour aveugles, mais il faut être jeune et « connecté » pour se familiaris­er avec, et ça ne remplacera jamais des yeux. En revanche, les plus jeunes malvoyants savent parfaiteme­nt où chercher les informatio­ns sur l’ordinateur : ils connaissen­t l’écran de leurs sites favoris par coeur ! Si nos missions de secrétaria­t sont fréquentes, on a aussi des demandes plus originales. Par exemple, Bayram, 33 ans, était déterminé : « J’ai besoin de faire du sport, je veux aller à la piscine et faire du jogging ! » Étant aveugle, cela lui était évidemment impossible. Il a renoncé de lui-même au jogging parce que, grâce à Claudine, 57 ans, il va à la piscine et cela lui suffit. Elle le conduit au bassin, prévient le maître-nageur, et le guide dans l’eau si besoin. Mon défi permanent, c’est de former le bon tandem en mettant bien les choses au clair avec les deux parties : ce ne doit pas être un esclavage, ni dans un sens ni dans l’autre. J’explique toujours aux demandeurs qu’un bénévole accepte de donner de son temps et doit être fiable, mais qu’il a des horaires, des impératifs, une vie. Il ne s’agit pas de compter sur lui pour rompre sa solitude ou combler un vide. Quant au bénévole, ce n’est pas parce qu’il a des yeux qu’il doit en abuser en allant se faire un café sans prévenir. Auprès de quelqu’un qui ne voit pas, il faut toujours dire ce que l’on fait, ce que l’on voit, quitte à commenter ce qui semble l’évidence quand on a des yeux : « Je cherche un papier », « Je suis sur le site, mais il s’est déconnecté », etc. Sans quoi un silence prolongé du bénévole peut plonger le malvoyant dans une sorte d’anxiété. Ces gens qui nous ouvrent les portes de leur intimité et nous permettent l’accès à leurs mails, il faut savoir les rassurer sur le fait que l’on n’en abusera pas.

En plus du service rendu, je les aide à gagner en autonomie

De plus, un bénévole ne doit pas annuler au dernier moment : l’attente est forte et on ne peut pas la décevoir. Pour rassurer le malvoyant, la première rencontre a souvent lieu en présence de quelqu’un de sa famille. Les bénévoles, âgés de 20 à 65 ans, sont plus nombreux que les demandeurs, âgés de 25 à 90 ans, parce que l’associatio­n n’est pas encore assez connue. Quand un malvoyant nous découvre, c’est parfois salutaire pour lui. Ainsi Nadine était parfaiteme­nt autonome… jusqu’à ce que décède son chien d’aveugle. Maintenant, c’est Patrice qui l’accompagne pour prendre le train direction Paris, un dépannage qui tombe vraiment bien ! Notre rôle, c’est vraiment d’être une paire d’yeux pour l’autre, sans empiéter sur l’autonomie qui est ce que les malvoyants ont de plus cher. C’est pour cette raison que l’on ne fait jamais les choses à leur place : on cherche le numéro de téléphone dont ils ont besoin sur Internet, mais ce sont eux qui téléphonen­t ; on les emmène chez le médecin, mais notre rôle se limite à la salle d’attente. Ce que j’aime par-dessus tout avec cette activité associativ­e, c’est le bonheur que nous permettons à des gens qui ont besoin de lien social et d’activités pour garder le moral. Nous les aidons, c’est sûr, mais pour eux comme pour nous, c’est à chaque fois une vraie rencontre.

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