Maxi

TéMOIGNAGE « Rien ne remplace le précieux sentiment d’aider les autres »

Inspirée par son père, pompier lui aussi, Cyrielle ne ménage pas sa peine pour concilier son métier, son engagement et ses enfants. Une vie atypique, pleine de rebondisse­ments, qui la rend heureuse.

- Par Catherine Siguret

Le soir, après avoir couché mes trois enfants de 7, 5 et 3 ans, que je retrouve après ma journée de travail d’infirmière en réanimatio­n, il m’arrive, comme à tout le monde, de choir sur le canapé, près de mon mari Grégory. Mais la différence avec les autres femmes actives et mamans, c’est qu’un message peut tomber sur mon bip, avec un seul mot dessus « VSAV » ou « FPT ». J’ai alors quelques secondes pour sauter dans mes baskets et foncer à la caserne de pompiers qui se trouve au bout du village, à environ un kilomètre. Pompier volontaire, je sais alors que je vais soit sur une mission avec un VSAV (véhicule de secours et assistance à victime), soit avec un FPT (fourgon pompe-tonne). VSAV, ce peut être un accident de la circulatio­n, un malaise, une chute sur la voie publique, un suicide, un meurtre… FPT : un feu de broussaill­es ou de pavillon, avec ou sans occupant. Il faut être prête à tout. Une fois, j’ai même eu plus rare, un « accident de la circulatio­n aérienne », c’était un planeur ! Je sais quand je pars, mais je ne sais jamais quand je rentre, pas plus que mon mari, lui aussi est pompier volontaire, mais avec un planning décalé pour qu’il y en ait toujours un pour garder les enfants… et les lever le matin si l’opération se prolonge ! Je crois que s’il n’y en avait qu’un de nous deux qui partait en mission, ce serait difficile : on se comprend.

Je suis devenue pompier volontaire à 18 ans en suivant ma formation de 120 heures en même temps que mes études d’infirmière.

Mon père s’était porté volontaire quelques années plus tôt. Mes deux petites soeurs et moi, on l’admirait beaucoup. Il ne racontait pas ce qu’il vivait et on voyait à sa tête que la mission avait parfois été difficile. Nous étions fières qu’il ait été utile aux gens, mais lui estimait n’avoir fait que son devoir. J’ai vite compris que rien ne remplace le sentiment d’aider les autres même si, parfois, je fais la journée continue, du véhicule de pompier à l’hôpital ! Ma double casquette a au moins un avantage : j’ai des nouvelles plus facilement de « mes » sauvés de la nuit ou du week-end. Entre nous, on dit souvent qu’il n’y a qu’une bonne situation : l’accoucheme­nt en urgence, quand il finit dans les sourires ! Moi, c’est ma hantise. L’accoucheme­nt que j’ai vécu en tant que pompier est le pire souvenir de ma carrière : le bébé, né prématurém­ent, n’a jamais pu être réanimé et c’était à quelques jours de Noël. Je crois avoir passé les Fêtes sans pouvoir effacer le souvenir des hurlements du père et du visage de la mère. On peut réconforte­r de toutes nos forces, mais il y a des chagrins inconsolab­les. Et pourtant, je ne craque jamais, c’est le miracle d’être dans l’action.

Nous savons que nous n’avons pas le droit de nous laisser aller,

car notre peine ou notre peur ne sont rien face à celles des victimes. Ce qui nous tient, c’est un très fort esprit d’équipe et de solidarité. On sait qu’on ne se jette pas dans le feu sans équipement adapté, qu’à un moment donné il faut savoir reculer, même si cela ne m’est jamais arrivé. J’ai eu peur deux fois, appelée pour un feu de poubelle, c’est-à-dire rien. Sauf que la fiche ne relatait pas la réalité : l’usine de cartons voisine s’était embrasée ! À six, on a mis

Je ne craque jamais, c’est le miracle d’être dans l’action

sur pied deux lances à eau, mais quand les secours sont arrivés, on était à bout, au bord de craquer à force de courir. Il faut être sportif, mais nous ne sommes pas non plus des athlètes de haut niveau, et vient un moment où le bout, c’est le bout ! Une autre fois, nous sommes partis sur un feu de champ de blé à huit et revenus à six, deux hospitalis­és très fortement intoxiqués par les fumées et la chaleur. Ce jourlà, j’ai compris que j’avais une limite : quand il n’y a pas de vie humaine en jeu. Mourir pour un champ de blé, je me suis dit : « Est-ce que ça en vaut vraiment la peine ? » Mais on ne choisit pas nos missions et on agit ensemble, avec une hiérarchie et des règles, il ne s’agit pas de discuter !

Le risque, ni mon mari ni moi n’en parlons aux enfants, qui posent des petites questions : « C’était grave ? C’était quoi ? » On explique en gros ce qui s’est passé, parfois en soulignant l’utilité qu’on a eue, mais sans parler du pire que nous avons pu voir. Et puis, on ne part pas mourir, le risque est toujours calculé, même si celui de se faire renverser par un chauffeur imprudent sur la bande d’arrêt d’urgence est toujours une possibilit­é. Si on a besoin de parler après une mission difficile, on le fait avec les collègues de l’équipe, ce qui fait déjà un bien fou, avec la possibilit­é de parler à une psychologu­e. Le secret, c’est de ne pas se cacher la vérité : les sentiments, on y a droit… mais après ! Quand j’ai dû arrêter les missions lors de mes grossesses, je me suis dit que ce serait peut-être raisonnabl­e d’arrêter, mais dès que je remettais les pieds à la caserne, je réalisais à quel point l’équipe m’avait manqué. On est liés à vie au service de la vie des autres et rien ne peut remplacer cela !

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