Élue Miss France « Je ne me suis jamais prise pour une star, même avec une couronne »
Alors que s’annonce le prochain concours Miss France, Christiane, couronnée en 1968, nous raconte comment, sans céder aux sirènes de la gloire, elle a misé sur le travail.
Je prends soin de moi, mais je sais que je ne suis pas le nombril du monde
Quand j’ai reçu ma couronne en décembre 1967, j’avais 17 ans et j’avais grandi bien loin de cet univers. J’étais éberluée, sous le regard des gens très chic présents au dîner de gala organisé au casino d’Uriage, à côté de Grenoble. Mes parents n’avaient pas eu les moyens de se l’offrir et ils ne voyaient pas la beauté comme une valeur. Mon père tenait un magasin d’électroménager à Saint-Étienne, depuis que nous étions revenus du Maroc, où j’étais née, et il m’avait toujours mise en garde : me méfier des compliments, surtout venant des hommes, compter sur mon travail, avoir des valeurs. Ma mère, femme au foyer, se préoccupait davantage de mon avenir que de mon apparence, et les photos de moi étaient aussi rares qu’aujourd’hui : je n’en ai jamais eu une seule au mur. Tous deux avaient été surpris, et pas très contents, quand ils avaient reçu une convocation du Comité Miss France, quelques mois plus tôt, alors que j’avais 16 ans, pour l’élection de Miss Saint-Étienne. C’était un voisin de leurs amis qui avait envoyé ma photo à l’insu de tous ! Je suis allée au rendez-vous pour dire non, mais j’ai cédé à leur insistance, avec le consentement sans enthousiasme de mon père : « Si ça ne te tourne pas la tête et que c’est une belle aventure, on ne t’en empêche pas. » Non seulement ça ne me tournait pas la tête, mais j’étais sûre qu’il ne m’arriverait rien au concours national, même si j’avais été sélectionnée comme Miss Saint-Étienne. Je trouvais les autres filles trop belles, bien plus que moi ! Mes concurrentes avaient 22 ans, 23 ans, une maturité et une assurance de femme, alors que je n’étais qu’une gamine. C’est la responsable de Saint-Étienne qui m’avait appris à me présenter, à marcher et m’avait acheté à Paris ma belle robe pour l’élection nationale. À l’époque, c’était très artisanal : même les chaussures étaient fournies par nos soins ! Pendant trois jours au casino, les Miss, hébergées, nourries et logées sur place, faisaient connaissance avec monsieur de Fontenay, encore de ce monde à l’époque, et la célèbre Geneviève, son épouse. À l’élection régionale, ils m’avaient à peine remarquée, mais grâce à ma formatrice, j’ai dû paraître moins empruntée. Ils m’ont demandé si je saurais me rendre disponible. J’ai dit oui. Et la nuit du 31 décembre, ma vie de petite provinciale est passée de l’ombre à la lumière. Mon année de Miss, du gala régional pour la future élection aux manifestations nationales, ne m’a jamais fait oublier ma famille, ma ville de Saint-Étienne, mes valeurs. C’était une époque féerique, mais je rentrais chez moi dès que je le pouvais. J’ai compris tout de suite ce qu’il y avait de dangereux dans les flatteries. J’ai fait des photos comme mannequin pendant trois ans, mais seulement le week-end à Paris, en travaillant dans un magasin de vêtements de Saint-Étienne durant la semaine. Le clinquant m’a toujours fait peur. J’étais lucide : mon physique était une chance génétique, rien d’autre. Et quand je me suis mariée à 20 ans, vierge je précise, c’était avec un jeune homme de ma province qui travaillait dans les arts graphiques, loin de la mode ! Investie depuis trente ans dans le Comité Miss France, par reconnaissance, en chapeautant l’élection régionale et aujourd’hui présidente du concours Miss Prestige national, je n’ai cessé de rencontrer des courtisans, des gens célèbres, mais je n’ai jamais considéré que nous étions du même monde. Quelque chose me faisait peur dans le fait de pouvoir se prendre pour ce que l’on n’est pas. Comme je dis toujours aux jeunes filles : « C’est une couronne en toc et une écharpe
symbolique. Et si toutes les belles femmes de France se présentaient, on ne serait pas là ! » J’ai passé ma vie à travailler pour m’offrir une belle vie et ne pouvoir me la faire reprendre par personne : dans un magasin, dans une discothèque qu’a voulu monter mon mari, mais je n’y ai jamais bu une coupe de champagne, dans un magasin de fleurs, de déco, puis dans les assurances après mon second mariage dix ans plus tard. J’ai élevé deux enfants, une fille, Magalie (43 ans), issue de mon premier mariage, et un garçon, Julien (34 ans), issu de mon second mariage qui a duré dix-huit ans. Ma beauté, je l’ai entretenue avec ce qui me plaisait : être active, faire du jogging jusqu’à ce que j’en aie marre, vers 50 ans, mais surtout en ayant une vie saine sans être rivée à mon miroir. J’ai cultivé mon potager : une véritable activité sportive qui permet d’avoir une alimentation équilibrée. Je n’ai pas bu, pas fumé, pas trafiqué mon corps quand il a changé. On le sait depuis la nuit des temps : on est moins belle à 67 ans qu’à 23 ans, l’âge de l’aînée de mes petites-filles, et qu’à 43, l’âge de ma fille. À quoi bon se torturer pour, là encore, essayer de ressembler à ce que l’on n’est pas ? J’ai été une femme très active, une vraie maman, comme je suis aujourd’hui une vraie mamie pour mes trois petits-enfants : gâteaux, brioches, repas conviviaux. Bien sûr, j’ai fait un peu attention à ma ligne, mais je pourrais faire dix kilos de moins si je me privais de tout en ne faisant plaisir à personne. C’est non ! En revanche, je suis toujours sortie coiffée, maquillée, par égard pour le regard des autres, comme une politesse qui leur est due. C’est peut-être ce qui m’a conservée : aimer les gens, et savoir que je n’étais pas le nombril du monde, même avec une couronne sur la tête !