« Les Petites Cantines ont redonné un sens à ma vie »
Touchée par la chaleur des relations qu’elle a eues avec ses voisins après le décès de son compagnon, Diane a cofondé un restaurant participatif pour favoriser une vie de quartier.
Zoé, Samer et Noé* habitent tous les trois Vaise, un arrondissement de Lyon à forte mixité sociale. Sans doute s’étaient-ils déjà croisés par le passé, au détour d’une rue sans le savoir. Mais s’ils n’avaient pas eu tous, ce jour-là, l’idée de participer à la cuisine participative des Petites Cantines de la rue Saint-Pierre, sans doute ne se seraient-ils jamais vraiment connus. Soudain, les trois voisins se sont retrouvés à éplucher et à couper des carottes ensemble. Zoé a expliqué qu’elle terminait son école pour devenir perruquière. Samer, réfugié syrien, cuisinier, a confié qu’il cherchait un emploi. Noé, qui vit du RSA, a dit que Les Petites Cantines, avec leur système de participation libre, représentait le seul restaurant qu’il pouvait s’offrir. Et à midi, quand la salade était prête, ils étaient simplement heureux de s’asseoir pour la déguster ensemble. Roger, un autre convive, banquier, a parlé de son métier à Zoé. Samer s’est étonné de la couleur des légumes du terroir qu’il n’avait jamais vus auparavant dans son pays. Tous avaient trouvé ce qu’ils cherchaient : un peu de chaleur humaine dans ce monde parfois si rude, où le sentiment de solitude revêt parfois un caractère bien subjectif.
« On peut vivre accompagné et se sentir seul au monde ! La solitude ne touche pas que les personnes âgées ou précaires, explique Diane, cofondatrice de ce restaurant ne ressemblant pas aux autres. Je ne l’ai compris qu’à la mort de Nathanaël, mon compagnon, décédé brutalement d’un accident de la route. » À l’âge de 32 ans, Diane s’est soudain retrouvée seule avec ses trois enfants. En prenant connaissance de son drame, quelques voisins sont venus lui témoigner un soutien moral et matériel. « L’un d’entre eux, confie-t-elle, m’apportait régulièrement des plats cuisinés. Les uns et les autres se sont ouverts à moi en partageant à leur tour leur propre traumatisme. J’ai apprécié l’authenticité de ces nouveaux échanges. »
Diane a immédiatement entrevu la possibilité de donner un nouveau sens à sa vie sans Nathanaël, quand Étienne, le mari d’une de ses amies, lui a parlé de son projet d’ouvrir une cantine de quartier où les gens pourraient trouver un endroit chaleureux pour se restaurer. « Cela n’enlève pas cette douleur en moi, mais cela m’a permis, avec mes enfants, d’avancer à nouveau. » En quelques mois, Étienne et Diane ont créé une association, parlé de leur projet aux habitants du quartier, créé de nouveaux liens de proximité. « Les voisins étaient très réceptifs. L’un d’entre eux nous a proposé un local pour tester sur quelques mois notre projet, reprend Diane. Au départ, avec Étienne, nous avions prévu uniquement d’offrir des repas. Mais, très vite, certains voisins ont souhaité pouvoir ajouter une valeur collaborative à l’endroit et ainsi participer à l’élaboration des repas. Personne ne connaissait rien à la cuisine, nous avons dû nous former aux normes d’hygiène. »
Après avoir testé sur quatre mois le modèle économique de l’association, Étienne et Diane se sont mis en quête d’un bail commercial. Ils ont rédigé la charte de l’établissement, un règlement en douze points dont le premier article stipule : « Nous sommes tous faits pour être heureux, et c’est encore meilleur quand le bonheur est partagé. » Et le deuxième : « Ici, il n’y a pas de clients, mais que des convives. » Finalement, le 1er septembre 2016, les Petites Cantines ont vu le jour et la salle était pleine ! Au menu, une seule entrée, un même plat et un seul dessert pour tous, préparés avec des produits locaux, frais et bio si possible, mais surtout avec beaucoup d’amour. « Nous étions tous très contents, avec ce sentiment en nous d’avoir pu aboutir malgré le pessimisme ambiant sur les chances de réussite de notre projet », se souvient Diane. Depuis, les Petites Cantines ne désemplissent plus. Samer, Zoé et Noé font aujourd’hui partie des habitués. « Un quart de nos convives reviennent
une fois par semaine, la moitié une fois par mois, et nous avons également 25 % de visiteurs uniques qui viennent d’un autre quartier ou d’une autre ville pour tester. » En plus d’offrir des repas conviviaux, les Petites Cantines invitent de temps en temps des chefs pour apprendre à mieux cuisiner. C’est ainsi que, indirectement, Samer a fait la connaissance de l’un d’entre eux. De fil en aiguille, il s’est fait embaucher comme cuisinier. Et Diane se souvient de ce jour où Zoé est entrée en trombe dans l’établissement : « Elle avait besoin, pour se présenter à son examen final de perruquière, d’une personne souffrant de calvitie. Au dernier moment son cobaye lui avait fait défaut. Je lui ai proposé de poser une affiche sur la vitrine. Imaginez l’ambiance ! Ce midi-là, les blagues fusaient ! Mais, au final, Zoé a trouvé son bonheur ! » Des histoires comme celle de Samer et Zoé, Diane dit en compter pas moins de trois par jour. « Parfois, explique-t-elle, quand on sent qu’une personne a un besoin particulier, nous nous débrouillons pour la présenter à table à des personnes susceptibles de l’aider. » Les Petites Cantines poursuivent leur chemin. « D’ici le printemps, reprend Diane, trois nouvelles cantines vont voir le jour. Et de nouveaux projets sont en cours dans d’autres villes, comme Nantes, Dijon, Lille et également en région parisienne. » Diane reste lucide. Pour elle, la force des Petites Cantines réside dans la mobilisation des gens du quartier. « Une chose est sûre, sans nos voisins, rien n’aurait été possible », conclut-elle.