Maxi

« Si je suis devenue mannequin, c’est grâce à mes formes ! »

Elle affiche fièrement sa taille 48 et raconte son parcours de mannequin, dit « grande taille », pour que toutes les femmes se sentent jolies.

- Johanna Taille Mannequin, de Johanna Dray, éd. Pygmalion.

La dernière fois, c’était pour un créateur belge. Ce fut encore une belle séance où j’ai porté et défendu les couleurs de Paprika, une jolie marque dédiée à des femmes pas comme les autres. Depuis vingt ans, c’est ma vie. J’exerce un métier que beaucoup de femmes m’envient. Quand j’étais petite, je rêvais déjà de travailler dans le milieu de la mode. J’ai commencé, comme beaucoup de fillettes, à habiller mes poupées. Je recoupais leurs robes et je nouais des morceaux de tissu autour de leurs hanches. Jamais je n’aurais imaginé en arriver là. J’étais persuadée que je n’avais pas la tête – et encore moins le corps – de l’emploi. Mais la vie est imprévisib­le… J’étais assise sur un strapontin dans le métro quand il m’a abordée entre deux stations. J’avais 21 ans et j’allais travailler, comme tous les jours. L’homme assis à côté de moi me regardait fixement. Au bout d’un moment, il m’a dit « bonjour » puis, tout naturellem­ent, il m’a demandé… si j’étais mannequin. Je taillais déjà du 44 à l’époque et, étant donné ma corpulence, j’ai éclaté de rire. J’étais certaine qu’il plaisantai­t. Quand j’ai essayé de lui faire comprendre que j’étais malheureus­ement un peu trop épaisse pour embrasser ce type de carrière, il m’a répondu, étrange- ment, qu’il recherchai­t exactement mon « profil » pour un de ses clients. Ce photograph­e m’a laissé sa carte et je l’ai rappelé, pour voir. Il travaillai­t avec Gilles Lévy, directeur de la marque Giani Forte et pionnier de la mode grande taille. L’histoire aurait pu s’arrêter là, car il craignait même que je ne sois trop mince pour ses vêtements. Un comble ! J’étais complèteme­nt désarçonné­e. Je n’imaginais pas que l’on puisse, un jour, me dire une chose pareille, moi qui me suis toujours sentie trop forte ! Mais le courant est bien passé et ce fut le début d’une grande histoire. Il y a vingt ans, peu de créateurs se souciaient de femmes comme moi. J’ai tout de suite été fière de porter ses vêtements car je savais, d’expérience, combien il était difficile pour certaines femmes avec des formes de trouver de beaux habits. C’est devenu mon métier et mon message : montrer qu’une femme ronde peut être féminine, séductrice et épanouie. J’étais heureuse de pouvoir refléter cette belle image. Mon métier a été une forme de thérapie. J’avais 8 ans quand mes premières rondeurs sont apparues. Au collège, j’ai grandi vite. Je mesurais déjà 1,74 m, soit une tête de plus que tout le monde. Alors que la plupart de mes camarades étaient encore des petites filles, j’étais immense et arborais des formes généreuses. Je me sentais déjà très mal dans mon corps. Et comme si cela ne suffisait pas, à chaque visite médicale on me répétait que j’étais trop grosse et qu’il allait falloir penser à maigrir. Même mes parents, qui m’avaient toujours rassurée, ont commencé à s’inquiéter. J’ai débuté les régimes. Je me sentais obèse alors que, pourtant, avec le recul, j’en étais loin. J’ai arrêté les privations à 17 ans quand je suis tombée malade. Les médecins m’ont diagnostiq­ué un cancer, un lymphome de Hodgkin. Durant mes séances de radiothéra­pie, j’apportais mes magazines de mode pour rêver un peu. Dans les moments les plus difficiles, je me projetais dans l’« après ». Je nourrissai­s toujours les mêmes rêves de petite fille. Je m’imaginais lancer une marque, dessiner des collection­s, monter mon premier défilé. À cette époque, j’ai même commencé une formation de styliste. Longtemps, j’ai été très complexée. Finalement, devenir mannequin, par un heureux hasard, m’a permis de me connaître et

À ma façon, j’ai pu apporter un message positif aux femmes

d’apprendre à m’accepter comme j’étais. J’ai longtemps pensé que cela allait s’arrêter vite. À tort. Au début des années 2000, je prenais plus souvent l’avion que le métro ! Incontesta­blement, l’apogée de ma carrière a été le défilé mythique organisé en 2006 par John Galliano, alors directeur artistique chez Dior. C’est très rare pour un mannequin grande taille de défiler pour des maisons de haute couture. Une fois de plus, j’ai été choisie pour mes rondeurs ! Mais j’étais fière.

J’ai accompagné le développem­ent de dizaines de jolies marques pour femmes rondes.

À ma façon, j’ai pu donner un message positif aux femmes et leur montrer que l’on pouvait se sentir aussi belle que les autres filles, plus minces et plus jeunes. Je voulais montrer que chaque femme pouvait être belle avec sa personnali­té, son visage et son corps. Il y a huit ans, j’ai rencontré l’amour. J’ai épousé Johann et nous avons eu une magnifique petite fille. La maternité ne m’a pas empêché de travailler. C’est un autre avantage des mannequins « grandes tailles » qui surveillen­t moins leur ligne que certaines collègues ! J’ignore de quoi demain sera fait. Je veux consacrer du temps à ma fille et lui apprendre, le moment venu, à s’aimer et à aimer les autres comme ils sont. J’ai écrit un livre* pour partager mon histoire et mon message. Je rêve toujours de dessiner de beaux vêtements pour des femmes comme moi, qui ne portent pas que du 38 et se sentent un peu oubliées par certaines marques de prêt-à-porter. Peut-être, aussi, continuera­i-je à poser. Peutêtre deviendrai-je même un mannequin senior ! Aujourd’hui, je le sais : la vie peut être imprévisib­le…

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Jamais Johanna n’aurait pensé faire carrière dans ce domaine, et c’est le hasard qui a croisé son chemin.

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