Maxi

« J’ai réussi à imposer mes goûts et ma sensibilit­é »

Née dans l’univers masculin de la métallerie-tôlerie, Corinne pensait ne pas y avoir sa place. Elle a féminisé le secteur avec du mobilier coloré.

- Corinne

Quand j’étais en réunion, dans ma peau de secrétaire-comptable de l’entreprise de métallerie, il m’arrivait d’oser parler de mon idée : « Nous pourrions lancer une ligne de mobilier en métal plié et coloré, ce serait simple à faire : on a les outils techniques, je dessinerai­s les modèles… » Les collaborat­eurs autour de la table me regardaien­t, attendant la réaction du patron. Lui ne me dénigrait pas, mais il disait : « Ouais… Reparlons-en un de ces jours… » J’avais d’autant moins de marge de manoeuvre que le patron se trouvait aussi être mon frère, qui avait repris l’entreprise de notre père ! Alors, je ravalais mon idée. À 29 ans, je n’étais pas encore prête à imposer mes idées dans ce monde d’hommes et de matière brute. J’ai donc continué à tenir sagement mon poste qui consistait à démêler les chiffres d’une entreprise de quarante employés, uniquement des hommes, qui fournissai­t cuves, machines agricoles, équipement­s pour les stations d’épuration ou autres. Il y avait plus glamour et c’était loin de mon rêve, mais je défoulais ma créativité à la maison. J’achetais des magazines de décoration et je passais mon temps à regarder comment améliorer le confort et la beauté de mon intérieur. Après des études littéraire­s, j’avais davantage de goût pour le secteur artistique que pour la métallerie, mais la vie en a décidé autrement. Mariée jeune et bientôt maman de trois filles, Emma, Léonie et Agathe, j’ai dû travailler et j’ai commencé par aider mon mari en boulangeri­e à mi-temps, travaillan­t un autre mi-temps auprès de ma mère, secrétaire-comptable depuis toujours dans l’entreprise familiale. Quand mon père m’a proposé de reprendre son poste à plein-temps, cédant dans la foulée les rênes de l’entreprise à mon frère, j’ai accepté. Trouver un poste à responsabi­lités dans la région nantaise, c’était une chance. J’étais désormais associée et donc intéressée par le tournant que l’usine pouvait prendre. J’étais convaincue que l’on pouvait faire des merveilles avec le métal. Mais quand on est « soeur de » après avoir été « fille de », toute idée rime facilement avec caprice. Après tout, qu’est-ce que j’y connaissai­s au métal ? L’entreprise familiale était éloignée de mon envie de plier le fer à la façon de l’origami, en le peignant de coloris féminins pour en faire des meubles et des objets déco ! Finalement, la crise économique a permis à mon frère de m’offrir une chance. Pour survivre, il fallait trouver de nouvelles pistes de développem­ent pour l’entreprise et innover. Mon frère m’a donc dit « banco ». On verra bien. J’ai eu la chance d’être entourée de consultant­s-experts, via un programme régional d’aide à l’innovation pour les PME, ce qui m’a permis de mettre debout le projet. Avec un ami architecte de la région, on a mis au point la première ligne de meubles de jardin, des étagères et des portemante­aux colorés, bleus, rouges, jaunes, assortis à des tabourets. J’exprimais mes envies, lui dessinait. J’allais ensuite consulter « le terrain », les ouvriers. Je me souviens de mes premiers pas dans l’atelier, quand j’arrivais en jupe et talons avec mon étiquette de fille, soeur du patron, et mes idées un peu bizarres. Parfois, ils me riaient presque au nez, et ils n’avaient pas toujours tort : « Ça, ce n’est pas réalisable techniquem­ent ! » Je répondais : « Ah bon ! » Et je repartais dépitée.

En 2012, ma première ligne de mobilier était présentée au salon d’ameublemen­t très tendance Maison & Objet,

réservé aux profession­nels. Une fierté renouvelée chaque année. J’ai commencé à vendre grâce à cet espace, ce qui m’a encouragée à m’adresser directemen­t aux particulie­rs à travers une boutique en ligne*. J’ai fini par séduire des personnes qui ne voulaient pas du mobilier fait en série à l’autre bout du monde, ou qui appréciaie­nt mes idées « folles », comme les flamants roses en fer pour le jardin ou les pancartes avec des slogans amusants, du genre : « Il est interdit de piétiner les rêves. » Celui-là, je n’ai pas eu de mal à l’inventer…

Mon mari et mes filles ont toujours continué à m’encourager.

À tel point qu’il y a deux ans, j’ai fini par oser monter ma propre société, séparée de la maison-mère, qui est en fait la maison-père ! Mon père, et aussi mon frère, sont fiers de ce que je fais, comme ma soeur, fan de la première heure et l’une de mes premières clientes. Aujourd’hui, je gère toute la chaîne de production, du dessin dont je m’occupe seule, à la commercial­isation, en passant par les discussion­s techniques avec les ouvriers. Bref, c’est un gros plein-temps ! Même si je ne suis pas encore riche, j’ai de belles raisons d’être heureuse. D’abord, quand j’arrive à l’atelier, on ne me regarde plus comme une simple amatrice. En juin dernier, mon mobilier figurait même au coeur de la célèbre exposition Jardins, Jardin aux Tuileries, à Paris. Et mon plus beau cadeau, c’est de me lever chaque matin pour mettre un peu de joie et de légèreté dans la vie des gens. Désormais, mon rêve serait de ne plus faire que dessiner, une passion qui m’est venue à l’âge adulte. Quand je fais un sapin de Noël « bio », réutilisab­le à vie, le métal ne perdant pas ses aiguilles, je me dis que j’ai beaucoup de chance.

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Avec un ami architecte, Corinne a créé une ligne de meubles de jardin et d’intérieur.

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