Maxi

« Je n’aurais jamais imaginé être un jour à la tête d’un palace ! »

Née dans un milieu modeste, Mady n’avait aucune chance au départ de se retrouver à la direction d’un ancien palace. Mais sa force de travail et de caractère en a décidé autrement…

- Par Catherine Siguret Plus d’infos sur lesrochesr­ouges.com.

Enfant, ma mère, qui tenait le bazar du village, me confiait parfois la mission d’apporter une motte de beurre ou un kilo de sucre aux Roches Rouges. C’était le palace mythique de notre village de Piana, en Corse du Sud, qui appelait parfois en cas de panne. Cette bâtisse immense, des années 1910, s’étendait somptueuse­ment audessus des calanques rougies par le soleil, d’où le nom de l’hôtel. Je quittais alors l’unique point de vente du coin, situé dans une ruelle où on vendait pêle-mêle chaussures, légumes et quincaille­rie, pour faire la route jusqu’au sanctuaire. Là, immobilisé­e au seuil de la cuisine où nul n’avait le droit d’entrer, je regardais les corbeilles de fleurs, les gens très élégants venus d’ailleurs. Je faisais la commission et je rentrais aider ma mère… Issue d’un milieu de modestes travailleu­rs qui avaient le commerce dans le sang – ma grand-mère tenant aussi un bazar dans un village voisin – je ne m’imaginais même pas m’asseoir sur l’une des chaises de la terrasse. Et l’éventualit­é de devenir la patronne d’un tel établissem­ent m’aurait fait rire si on me l’avait soumise à l’époque. Quant à ma mère, elle n’aurait pas ri : elle aurait trouvé une telle ambition… indécente ! À 14 ans, mon certificat d’études en poche, ma mère m’a mise en pension à Ajaccio pour suivre une école de sténodacty­lo dans l’espoir de me voir travailler dans un bureau. Mais moi, j’étais une fille du grand air, pas de la ville, et j’aimais m’activer. Un jour, je suis rentrée en disant que je n’y retournera­i pas. Ma mère n’y est pas allée par quatre chemins : « Très bien. Tu fais ta valise et tu vas à Porto, l’hôtel Méditerran­ée cherche une femme de ménage. » J’ai obéi. Et j’ai travaillé dur, mais sans en souffrir, parce que j’avais appris le courage et que je me suis découvert tout de suite l’amour du métier.

J’ai compris sur le terrain qu’en traitant les gens avec égards, en les recevant comme des amis, ils vous le rendaient bien… la plupart du temps ! C’est ce qui a fait que, juste après mon mariage, le propriétai­re du Belvédère m’a confié la gérance de son deuxétoile­s quand il a pris sa retraite. Là, avec mon mari, on a pris les choses en main et, quelques années plus tard, non seulement nous étions complets, mais les clients faisaient la queue l’après-midi pour boire un verre sur la terrasse ! On aurait pu continuer longtemps si, un jour, je n’avais pas reçu l’appel de l’avocat d’une vieille famille de Piana – des bourgeois très respectés que je connaissai­s depuis toujours. Il m’a dit : « Voilà, l’hôtel Les Roches Rouges est à vendre. Vous vendez Le Belvédère, on l’achète ensemble, je prends des parts, je m’occupe de la gestion et vous vous occupez du reste. » C’était une folie… donc je l’ai faite ! L’impossible ne m’a jamais fait peur et la beauté m’a toujours hypnotisée, celle du joyau de mon village pour commencer. Sauf que Les Roches Rouges était fermé depuis vingt ans…

L’ancien palace ne contenait plus rien, pas même une petite cuillère ! Il était entièremen­t délabré, avec des chambres sans salle de bains attenante, ce qui n’était plus concevable dans les années 1980. Plus de lits, plus de cuisine, plus rien. J’avais dit oui sans visiter, et quand j’ai visité… j’ai pleuré ! Mon père était décédé, il ne pouvait pas voir ça. Ma mère pleurait aussi et pour d’autres raisons : « Tu es folle ! Tu lâches la proie pour l’ombre ! Un palace dans la famille ! Tu cours à la catastroph­e, ma petite ! » J’ai fait un crédit hôtelier, qui n’existe plus aujourd’hui mais qui m’avait auparavant servi pour des investisse­ments d’embellisse­ments. J’ai aussi pris un crédit bancaire et j’ai tout remis en état en quelques mois. Je dormais cinq heures par nuit, je travaillai­s sept jours sur sept et j’habitais sur place avec ma famille, mon mari et mes deux enfants. J’achetais dans les brocantes, chez les antiquaire­s. Je serrais le budget au plus juste, mais je voulais que chaque chose ait une âme. Il n’y avait pas deux chambres semblables. Parfois je pleurais, alors je repensais à mes débuts comme femme de ménage, et le courage revenait. Peinture, plomberie, jardin, j’attaquais les chantiers un par un pour que ce soit ouvrable. Pour tenir les

Trois fois j’ai tout refait, mais en conservant le charme de l’ancien

quarante-cinq chambres réparties sur trois étages, entretenir le parc immense et gérer les cuisines, on a attaqué la saison à cinq ! Et on a quand même été classés deux étoiles ! Le cadre historique, nos bons soins, le charme de l’ancien, ça plaisait. Mais il a fallu cinq ans avant que j’affiche complet. Et encore quelques années de plus pour obtenir la troisième étoile ! Je regrette tellement que ma mère ait disparu avant de voir ça. Le prix du succès, c’est qu’on entretient un mythe en dormant toujours cinq heures par nuit et en faisant des travaux six mois par an, entre novembre et mars. Trois fois j’ai tout refait, mais en conservant le charme de l’ancien. Pas pour avoir la quatrième étoile, ce qui impliquera­it de proposer des équipement­s que je refuse : pas de piscine ni de jacuzzi chez moi. Je me suis résolue à la télévision en 1998, pour la Coupe du monde de football, et au wifi, mais je veux que mes clients puissent se croire à l’époque où le monde allait lentement… ce qui me demande, à moi, de ne pas faiblir ! Chez moi, au rez-de-chaussée, tout est design, blanc, dépouillé. Comme je dis aux gens qui viennent et que cela étonne : les tentures et les couverts en argent, ça me rappelle trop le travail !

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