Maxi

« Nous avons transformé son chagrin en combat »

Kiara avait 10 ans quand elle a commencé à être harcelée à l’école. Après de longs mois sans rien voir, Catherine, sa maman, s’est unie avec sa fille pour que cela n’arrive pas à d’autres…

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Je ne sors plus sans ce badge. Depuis un an, une petite coccinelle s’est posée sur le revers de ma veste. Il fallait trouver un symbole pour notre combat. Nous avons choisi de l’illustrer avec ce petit insecte. Contrairem­ent aux apparences, toutes les coccinelle­s ne se ressemblen­t pas. Cet insecte nous rappelle qu’il faut parfois savoir regarder certaines choses de plus près. Dans mon cas, je n’ai pas su voir que ma fille était harcelée. Kiara m’avait rapporté quelques événements que j’ai préféré dédramatis­er. Je n’ai pas vu que ma fille allait mal ni qu’elle était de plus en plus isolée. Je sais pourtant aujourd’hui que le harcèlemen­t peut arriver n’importe où et frapper n’importe quelle famille… Nous avons d’abord pensé à une banale crise d’adolescenc­e. Tout a débuté peu après son entrée au collège. Son comporteme­nt a changé. À la maison, Kiara a commencé à s’opposer à moi, à claquer des portes et à s’isoler de façon soudaine. Il lui arrivait de s’emporter, par exemple, si un repas ne lui plaisait pas. Le matin, souvent, elle nous disait qu’elle ne voulait pas aller à l’école. Lorsque je la déposais, elle se plaignait d’avoir mal au ventre. Elle ne mentait pas car, régulièrem­ent, il a fallu aller la chercher à l’infirmerie. En quatre mois, nous avons été appelés plus de vingt fois. Vu son âge, nous avons spontanéme­nt pensé à la puberté. Nous avons même consulté un médecin et fait faire des échographi­es, en vain. Kiara avait bien essayé de nous dire qu’elle était embêtée à l’école, mais nous ne l’avons pas entendue. Elle a prononcé le nom d’une élève qui ne voulait plus être son amie. Elle nous a raconté qu’elle l’isolait des autres en faisant courir des rumeurs. Je voyais bien de qui elle parlait. Or, il s’agissait d’une ado toute menue que Kiara dépassait d’une bonne tête. Pour nous, cela ne pouvait pas être sérieux ! Son père lui a dit de juste envoyer balader cette petite peste. Pendant plusieurs mois, nous l’avons laissée souffrir et se refermer sur elle-même, sans comprendre. C’est à la veille d’une sortie scolaire que nous avons compris la gravité de la situation. Pour la première fois, Kiara m’a dit qu’elle avait peur. Elle a exprimé une émotion que nous n’avions jamais entendue auparavant. Elle s’est ouverte et nous a expliqué qu’elle était harcelée depuis le début de l’année. L’adolescent­e dont elle nous avait parlé avait monté d’autres élèves contre elle, qui, chaque jour, l’insultaien­t verbalemen­t. Mon coeur s’est serré quand elle m’a confié par exemple qu’elle se cachait dans les toilettes, entre les cours, pour pleurer et leur échapper. Elle avait déjà alerté son professeur principal et une surveillan­te, qui n’avaient rien fait. Elle commençait à se sentir à bout et craignait, lors de cette sortie, que ces élèves ne s’en prennent à elle physiqueme­nt. Je n’oublierai jamais le sentiment de honte qui m’a envahie en repensant à toutes les fois où je l’avais forcée à aller à l’école malgré elle, alors qu’elle était en souffrance. Pendant des mois, personne ne lui avait tendu la main. En même temps, il fallait aussi agir vite. Avec son père, nous lui avons proposé d’aller recadrer sa harceleuse. Cela n’a pas servi à grand-chose car les insultes ont continué. Nous avons essayé de mobiliser le collège, en vain. Nous avons appelé les parents de l’autre enfant pour les alerter, mais ils ne nous ont pas crus. Finalement, nous n’avons pas trouvé d’autre solution que de porter plainte contre X au commissari­at. Enfin, Kiara a été prise au sérieux. Pour la première fois, elle a été entendue et reconnue comme victime. Du jour au lendemain, elle a commencé à remonter la pente. Kiara a rencontré un psychologu­e qui a mis des mots sur ses maux. Quand elle lui a demandé ce qui pourrait l’aider à aller mieux, ma fille a répondu spontanéme­nt qu’elle avait besoin d’aider les autres. Elle a changé de collège et retrouvé une vie normale, avec en tête l’idée de créer une associatio­n pour accompagne­r d’autres adolescent­s victimes de

Pour aller mieux, ma fille a eu besoin d’aider les autres

harcèlemen­t. Mais les choses se sont précipitée­s quand nous avons appris le suicide de Christophe­r, un élève de son ancien collège. Cette nouvelle m’a glacée. Kiara, qui le connaissai­t un peu, a évidemment été bouleversé­e. Un matin, elle m’a dit qu’elle ne retournera­it pas en cours tant que nous n’aurions pas créé notre associatio­n. Elle avait raison. Nous avons compris que, dans notre ville comme ailleurs, des milliers d’autres élèves souffraien­t sans doute eux aussi en silence. Nous nous sommes lancées et nous avons transformé son chagrin en combat. Nous avons sensibilis­é d’autres familles et créé l’associatio­n « Marcel Ment* ». Notre but est de sensibilis­er d’autres parents qui, comme nous, n’ont pas su voir les signes.

Aujourd’hui, Kiara poursuit une scolarité normale en classe de quatrième. Pendant son temps libre, elle participe activement à la vie de l’associatio­n. Elle est parfois sollicitée pour raconter son histoire ou consoler d’autres enfants. Elle a retiré une force incroyable de cette histoire. Depuis quelque temps, elle parle de faire carrière dans la criminalit­é et la prise en charge des victimes. Elle a encore le temps de choisir, mais son histoire a manifestem­ent laissé des traces…

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