Maxi

«Nous ouvrons des gîtes pour les parents d’enfants handicapés»

Pour vivre mieux et sauver leur couple, Élodie et Louis sont partis en province s’occuper d’Andréa, lourdement handicapée. Là, ils ont décidé de permettre aux familles dans le même cas de venir souffler un peu.

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Certains jours, notre fille Andréa, 1 an à l’époque, était capable de crier de neuf heures du matin à minuit. Louis, mon mari, et moi nous n’en pouvions plus, enfermés dans un appartemen­t parisien, sans aucune issue pour souffler. Depuis sa naissance, nous allions d’hôpitaux en thérapeute­s. Louis ne parvenait plus à conjuguer l’usure physique et son emploi, et moi, en arrêt de travail pour m’occuper d’elle, je n’avais pas une minute de vie normale. Et surtout pas d’espoir. Car nous étions passés de la naissance merveilleu­se d’un premier enfant, comme chez tous nos amis trentenair­es, au suivi médical : « Votre fille a peut-être une maladie », puis « probableme­nt un handicap. » D’IRM en IRM, on a fini avec « maladie neurodégén­érative non stabilisée inconnue, avec une espérance de vie ne dépassant pas cinq ans ». Assommés, usés par un quotidien invivable, nous avons compris ce qu’était l’exclusion so- ciale liée au handicap. Andréa ne marchait pas, ne nous comprenait pas, ne progressai­t pas et ne mangeait pas, nourrie par sonde et sous sédatifs, pendant que nos amis avaient des problèmes de poussées dentaires ou pensaient à des destinatio­ns de weekend avec leurs enfants. On a fini par se dire qu’on serait plus heureux à la campagne, avec des horaires de travail qui nous permettrai­ent de vivre près d’Andréa, histoire de profiter de sa présence le temps qu’elle passe à nos côtés. Louis était originaire du Pasde-Calais. C’est là, à La Madelaine-sous-Montreuil, que nous avons acheté un corps de ferme à retaper et c’est là qu’on a imaginé créer ce qui nous avait manqué : un lieu de répit, avec quatre gîtes et deux chambres d’hôtes pour vacanciers dont des « aidants », comme on appelle ces millions de Français qui s’occupent en continu d’une personne handicapée, parent ou enfant, accueillie avec eux de façon adaptée. Les familles pourront venir s’y reposer en réservant le kiné, l’infirmière, ou autre thérapeute, selon la prescripti­on médicale pour leur enfant ou parent. Un éducateur thérapeute pourra le prendre en charge toute la journée pendant qu’une grande salle polyvalent­e offrira yoga, méditation et massages. Nous sommes bien placés pour savoir que le dos en prend un sacré coup quand on a un proche sans mobilité aucune ! Cette idée nous a redonné le sourire, à Louis et à moi, pour la première fois depuis deux ans et demi. Elle a ressoudé notre couple autour d’un horizon positif alors que l’on avait même pensé nous séparer pour une seule raison : que l’un de nous deux se repose une semaine sur deux grâce à la garde alternée ! Dans notre épreuve, nous avons eu la chance de pouvoir compter sur mes parents à Paris et plus encore sur ceux de Louis dans le Pas-de-Calais, mais comment déléguer plus de vingt-quatre heures à quelqu’un qui n’est pas profession­nel ? Andréa, à bientôt 3 ans, ne s’alimente pas, ne marche pas, ne bouge pas et pleure sans possibilit­és de soulagemen­t ni explicatio­n, puisque l’échange avec elle est très réduit. L’installati­on en province nous a permis de bénéficier de l’aide à domicile d’une éducatrice spécialisé­e qui s’occupe d’elle l’essentiel de la journée. Pendant ce temps-là, Louis et moi avons retrouvé une vie tournée vers l’avenir avec ces gîtes qui devraient ouvrir

Ce projet nous a apporté quelque chose de positif à l’horizon !

prochainem­ent. Louis retape le grand corps de bâtiment et, de cadre, il est devenu maçon bénévole et a divisé son salaire par quatre quand il prend des missions en intérim.

Moi, je cherche des financemen­ts pour mettre debout notre projet innovant, je démarche les pouvoirs publics (le départemen­t nous a déjà accordé une belle subvention), institutio­ns, fondations, mécènes privés, entreprise­s, pour les inviter à donner de l’argent, les dons étant défiscalis­és. Je recrute des adhérents pour notre associatio­n « Le laboratoir­e de répit », dédiée au projet que nous avons appelé « Les bobos à la ferme »*. On a choisi ce nom en se moquant un peu de nous-mêmes, parce que l’on nous appelait comme ça du temps de notre vie insouciant­e à Paris, avant la naissance d’Andréa. Nous avons bien changé et nous avons joué sur le mot « bobo », car les enfants ou adultes « avec bobos » seront les bienvenus chez nous, tout comme les vacanciers ordinaires ! Nous avons choisi de les mélanger parce que c’est important de ne pas vivre que « pour ça », avec des gens concernés « par ça ». Un « lieu de répit » pour les aidants, c’est bien ce qui est prévu par la loi handicap de 2005, sauf qu’il n’existe que de très rares lieux, le plus souvent spécialisé­s dans un seul handicap. Dans les Hauts de France, le nôtre serait le premier. Aujourd’hui, notre vie a retrouvé un sens. Dans notre malheur, l’existence de notre fille a donné naissance à quelque chose de plus grand qu’elle, qui vivra après elle. Les médecins nous avaient bien proposé des médicament­s contre l’anxiété, mais nous, on a choisi la vie. Le jour de l’inaugurati­on, d’ici un an, sera le plus beau de notre vie depuis bien longtemps !

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