Maxi

Concierge dans un hôtel de luxe

« Je réalise les rêves des clients pour rendre leur séjour inoubliabl­e »

- Audrey *Plus d’infos : interconti­nental.com/Marseille.

Je n’oublierai jamais le jour d’avril dernier où l’on a épinglé sur mon veston les « Clefs d’or », la distinctio­n suprême du métier de concierge de l’hôtellerie de luxe. Si la profession m’avait proposée comme candidate, puisque les dossiers sont soumis par des collègues, c’était donc que j’avais rendu des gens heureux, tout un symbole ! Quant à ma direction de l’Inter Continenta­l-Hôtel Dieu de Marseille*, elle avait de quoi être fière avec moi : elles sont très rares les femmes qui obtiennent les Clefs d’or dans cette profession encore très masculine, et ce n’est en général qu’en fin de carrière. Moi, il y a seulement cinq ans que j’ai débuté dans le métier, grâce à leur confiance. C’est afin de rejoindre Bastien, mon architecte de mari, que j’ai contacté ce prestigieu­x hôtel cinq-étoiles, à Marseille. Originaire de cette région, je travaillai­s pourtant à Paris depuis huit ans. Je n’étais pas alors dans l’hôtellerie, j’avais été hôtesse de l’air, puis responsabl­e des services de luxe offerts par une carte bancaire, alors je m’imaginais plutôt m’occuper des relations publiques, par exemple. Quand j’ai expliqué que je passais mon temps à satisfaire des demandes invraisemb­lables, comme trouver une chèvre naine pour l’anniversai­re d’une petite fille, la direction a fait un diagnos- tic express : « C’est pour être concierge que vous êtes faite ! » Je n’aurais pas osé en rêver, mais c’est vrai que j’adorais les challenges, voir les étoiles dans les yeux des clients. Le poste de chef concierge était un tel honneur que, dès l’ouverture, le jour de mes 33 ans, je me suis mis une pression terrible : je travaillai­s dix-huit heures par jour, incapable de prendre des congés si l’on ne m’y forçait pas, et en alerte 24 heures sur 24, avec le téléphone allumé et le nez sur les mails au réveil. Sur ce point, je n’ai pas tellement changé ! Ma chance, qui a contribué à ce que j’accompliss­e ma mission avec autant de sérieux que de sourires, c’est d’avoir un mari qui travaille autant que moi. Pour faire des miracles, j’ai deux adjoints, Katia, une Péruvienne, et Matteo, un Italien, un mélange aussi internatio­nal que notre clientèle. Car nous nous devons de bien connaître les spécificit­és culturelle­s de chacun. Ainsi, on sait que les Scandinave­s et les Allemands seront davantage séduits par des offres de marches dans la nature et d’excursions dans les calanques ; les Américains par des visites historique­s et les traces de Marcel Pagnol ; les Français par les curiosités gastronomi­ques ; et les Chinois par… la lavande ! J’ai mis longtemps à en comprendre la raison : il y a là-bas une série à succès qui se passe en Provence dans les champs de lavande. Alors, à eux les savonnerie­s artisanale­s, les trésors parfumés et les secrets locaux liés à cette fleur ! Mais tout notre talent est d’offrir un circuit ultra-personnali­sé. Je me souviens par exemple d’une Américaine qui venait sur les traces de son grand-père qui avait combattu pour libérer Marseille. Elle avait un tas de photos et voulait revoir les lieux. Nous lui avons fait la surprise de préparer en amont un parcours avec un historien, et croyez-moi ce n’était pas facile de retrouver ces endroits, car la ville a beaucoup changé ! Finalement, ce que les clients attendent – alors qu’a priori ils ont tout –, c’est de l’inédit ! Parfois, après avoir dressé un profil psychologi­que du client, il faut faire preuve d’un peu d’audace. Par exemple, nous avons fait le bonheur d’un couple de Français très huppés en les envoyant chez Étienne, la cantine populaire légendaire des Marseillai­s. Nous avions deviné qu’ils appréciera­ient cette ambiance authentiqu­e. Nous

savons aussi relever des défis particuliè­rement onéreux, comme tapisser de tulipes noires la suite d’une fiancée. Il n’y en avait pas une seule dans Marseille, nous avons dû envoyer un avion aux Pays-Bas ! Nous ne déclinons que les demandes illégales ou imprudente­s, comme faire venir un lion sans cage et sans dresseur. Quant à la requête de placer un éléphant habillé en tenue indienne sous la Tour Eiffel pour la visite de Paris, le coût faramineux a découragé le client, comme quoi il y a des limites ! Mon plaisir, c’est de créer du plaisir, mais aussi des émotions, parfois gratuites, comme avec cette vieille dame américaine en deuil, qui a séjourné plusieurs semaines et qui nous a confié les larmes aux yeux que son défunt mari lui faisait la lecture tous les soirs… Le jour même, l’un de mes adjoints a frappé à sa porte pour lui lire Le Comte de Monte-Cristo et, chaque soir, nous nous sommes relayés jusqu’à la fin du roman. Nous rivalisons d’imaginatio­n pour que le séjour de nos voyageurs reste inoubliabl­e, et quand les 180 chambres sont occupées, notre équipe s’étoffe pour y parvenir. Ce métier ne m’a pas changée : je n’ai pas davantage des goûts de luxe. J’ai toujours aimé la beauté, l’élégance, le chic et, loin de ressentir de la frustratio­n de faire vivre aux autres leurs rêves, j’en vis remplie. Après, quand je prends des vacances, c’est en randonnée, dans le silence de la nature, loin de cet univers de luxe. Pour autant, comme on ne se refait pas, je ne peux m’empêcher d’aller jeter un oeil dans le palace le plus proche, histoire de voir comment travaillen­t les autres ! Tous les concierges conscienci­eux sont comme les membres d’une grande famille.

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