TÉMOIGNAGE
« Mon entreprise est un hommage à ma grand-mère »
Derrière mon stand, je le reconnais, j’étais un peu fébrile. J’avais gagné un concours pour jeunes entrepreneurs qui me donnait droit à un emplacement gratuit à la dernière Foire de Paris. Plus jeune, j’y étais beaucoup allée pour découvrir des inventions rigolotes ou des produits innovants. Derrière ma table, j’ai regardé les visiteurs défiler, jeter un oeil et souvent, s’arrêter. Ils ne savaient pas que j’étais la créatrice de ces capuches et partageaient très librement leurs impressions avec moi. Beaucoup de femmes ont souri en voyant le nom de ma marque. Et dès qu’elles essayaient mes créations, je savais que c’était presque gagné… J’ai vraiment trouvé l’idée de mon entreprise au fond d’un tiroir, un jour, chez ma grandmère. C’était il y a cinq ans. Elle s’apprêtait à déménager en maison de retraite et je l’aidais à faire ses cartons avec mon père. Soudain, j’ai ouvert un tiroir rempli de vieilles capuches en plastique transparent. Instantanément, cette vision a agi sur moi comme une madeleine de Proust. Je nous ai revues toutes les deux, en balade sous la pluie à Chambéry. Elle n’hésitait pas, aux premières gouttes tombées, à s’accoutrer de cette capuche. Objectivement, cet accessoire était assez quelconque et pas très glamour, mais je me suis souvenue aussi combien ma grand-mère était élégante et coquette. Souvent, elle nouait un joli foulard sous sa capuche transparente. Je lui ai demandé pourquoi elle en avait autant et elle m’a répondu que c’était tellement pratique qu’elle n’avait jamais voulu en manquer ! Elle aimait les accessoires utiles, jolis et rapides à mettre. « Mais tu as toujours plein d’idées toi aussi, a-t-elle observé. Je suis sûre que tu pourrais en faire quelque chose de joli ! » Ce jour-là, comme souvent, je devais porter un banal T-shirt blanc sur lequel, comme je le fais parfois, j’avais cousu quelques morceaux de tissus chinés sur les marchés. En discutant avec moi, sans le savoir, elle a posé les premières bases de ma future entreprise. « Tu as peut-être raison, ai-je répondu. Mais si je me lance, je te préviens, j’appellerais ma ligne “capuches à mémé” ! » Peu à peu, j’ai commencé à nourrir l’ambition de rentrer dans le sac à main de toutes les femmes. À l’époque, j’étais encore salariée à mitemps et j’ai commencé à étudier l’idée sur mon temps libre. Je me suis d’abord demandé pourquoi ces capuches étaient passées de mode. La réponse était évidente : dans ce tiroir, objectivement, elles étaient plutôt laides. J’ai compris, avec le recul, que les capuches de ma grandmère étaient belles, dans mon souvenir, grâce aux motifs en dessous qui apparaissaient en transparence. J’ai commencé à chercher des tissus imperméables et à les doubler avec de jolies impressions. J’ai redessiné les lignes de ces capuches en m’inspirant de l’élégance naturelle d’icônes comme Jackie Kennedy ou Audrey Hepburn. Tout cela prenait joliment forme. Alors, quand j’ai été licenciée pour des raisons économiques, je me suis dit que le moment était venu de monter ma société, plutôt que de chercher un autre emploi salarié. Des proches m’ont prévenue, avec bienveillance, que c’était difficile d’entreprendre. Ils avaient raison, mais j’y croyais. J’avais acquis quelques compétences dans ma vie professionnelle passée et je sentais que je tenais une jolie idée, utile, avec une belle histoire à raconter. J’ai décidé de me lancer en profitant des aides proposées par Pôle emploi quand on perd son travail. Il est possible, en effet, de toucher une partie des indemnités auxquelles on a droit sous forme d’un petit capital que j’ai immédiatement investi dans mon projet. Cela m’a permis de financer ma première production de capuches et de faire travailler six couturières dans un atelier. J’ai aussi imaginé un système de pochette, comme un joli boîtier
J’avais des compétences et je sentais que je tenais une jolie idée utile
de lunettes, mais en métal. Pour l’instant, j’ai conçu trois modèles de coupe, dans différents tissus, vendus à partir de 29 euros.
Je n’oublierai jamais le regard incrédule de ma grand-mère quand je lui ai montré mes premières créations. Elle a trouvé cela joli, mais s’est interrogée sur la marque. Car j’ai vraiment appelé ma ligne, « Capuches à mémé* » ! « C’est qui cette mémé ? », m’a-telle demandé. « Mais c’est toi… », ai-je souri. Même si elle ne se souvenait plus qu’elle m’avait soufflé l’idée, elle a été touchée. Elle est décédée cette année et cela reste un souvenir ému, pour moi, qu’elle ait vu le résultat final avant de partir. Je suis très heureuse car c’est un produit simple et utile, auquel je crois vraiment. Et, apparemment, je ne suis pas la seule. Pendant les six premiers mois, j’en ai vendu près de deux mille. Aujourd’hui, je ne gagne pas encore assez d’argent pour me payer, mais j’en engrange assez pour continuer de produire, de renouveler et d’augmenter mon stock. J’ai créé des emplois et l’avenir paraît prometteur. Je reçois régulièrement des messages de clientes qui me félicitent pour mon idée. Au fond de moi, je suis persuadée que si nous étions plus nombreuses à croire en nous, plus de projets comme le mien émergeraient. Quand une femme est lancée avec une bonne idée, rien ne l’arrête ! Aujourd’hui, les journées sont longues, mais belles. Quelques mois après avoir lancé mon entreprise, je vais devenir maman. Je serai heureuse de parler à mon enfant de son arrière-grand-mère. Une femme formidable qui m’a transmis son énergie et son enthousiasme. Et accessoirement… une belle idée !