Maxi

TÉMOIGNAGE «Quand je viens en aide à mes collègues, je me sens grandie»

Laurence fait partie du réseau des «bienveille­uses» dans sa société. Son rôle? Sortir ses collègues de leurs difficulté­s.

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L’injustice, je ne supporte pas! Aussi loin que remontent mes souvenirs, j’ai toujours veillé au bien-être des autres. Ce jour-là, j’avais peut-être 8 ans. Mon cousin Pierre et moi jouions avec d’autres enfants. Soudain, l’un d’entre eux s’est jeté sur lui. Le garçon lui serrait le cou très fort, il allait l’étrangler. Pour le sauver, j’ai sauté sur le dos de son agresseur. Je revois encore mon cousin se relever tout rouge, ses yeux bleus remplis de gratitude. J’étais heureuse : j’avais pu l’aider. Quand je lui confiais mes révoltes face à la souffrance des autres, ma grand-mère, une femme de caractère, me répétait : « Laurence, de quoi as-tu peur ? On ne risque rien à être bienveilla­nt! » Sans doute cette phrase est-elle restée gravée en moi à tout jamais. À la longue, la bienveilla­nce est devenue une deuxième nature. En 1998, après une dizaine d’années de carrière chez Casino à des postes très variés comme caissière, responsabl­e du rayon papeterie, hôtesse d’accueil au service réclamatio­n et j’en passe, une collègue, qui était également une amie, m’a proposé de rejoindre l’équipe syndicale de l’entreprise. J’ai accepté. Depuis lors, je joue le rôle de ce que l’on appelle aujourd’hui chez Casino une « bienveille­use ». Très vite, j’ai repéré Lucie, une collègue. À 30 ans, son homme l’avait abandonnée avec un bébé de 9 mois et une petite fille de 3 ans. C’était la fin du mois et il ne lui restait plus un sou pour les nourrir. Mère également, j’en étais malade pour elle. Hors de question pour moi de la laisser démunie ! Avec l’aide du directeur du magasin et d’une autre collègue, nous lui avons rempli discrèteme­nt un chariot avec des produits de première nécessité. En un tour de main, Lucie s’est retrouvée avec un paquet de couches, du lait infantile, des lingettes et des denrées alimentair­es. Elle a pu ainsi finir sereinemen­t plusieurs fins de mois. Je me souviens encore des larmes au coin de ses yeux en découvrant notre geste. Cette action ne m’avait rien coûté, mais Lucie, cela l’avait sauvée. Après Lucie, il y a eu JeanJacque­s. Un de ses collègues l’avait surpris un matin en train de dormir dans sa voiture. Suite à une séparation, Jean-Jacques n’avait plus de toit sous lequel s’abriter. En apprenant ses difficulté­s, j’ai décidé de faire le tour des mairies de ma région pour lui décrocher un logement social. Un mois plus tard, Jean-Jacques avait retrouvé un appartemen­t. Des Lucie et des Jean-Jacques, combien y en a-t-il autour de nous ? Sans regard bienveilla­nt sur les personnes qui nous entourent, il est possible d’en laisser sur le bas-côté, assez facilement. Avec la crise de 2008, j’ai vu la précarité augmenter autour de moi. La peur de perdre son emploi et le mal-être au travail ont gagné du terrain également. Ainsi, je me souviens de Christophe, commercial, qui s’était fait arrêter sur la route par la police et verbaliser à cause de ses pneus lisses. Son véhicule avait été immobilisé. Pour le récupérer, Christophe devait remplacer ses quatre pneus. Le problème ? Après avoir payé son loyer, les factures, il ne lui restait plus assez pour acquitter l’amende et régler la réparation. Et sans voiture, Christophe allait perdre son travail. Quand j’ai appris son histoire, j’ai fait en sorte que le comité d’entreprise lui avance les frais. Ainsi, il a pu continuer à travailler et garder son emploi. Régulièrem­ent, je me remémorais la phrase de ma grand-mère, j’ai continué à rester bienveilla­nte avec mes collègues. Un accident de la vie arrive si vite. Au fil des ans, j’ai pris du grade dans le syndicat pour finalement devenir élue au comité d’entreprise, un poste à temps plein. Aujourd’hui, j’interviens également pour prémunir mes collègues des méfaits du stress et

du mauvais management en tant que médiatrice avec la direction. Des responsabl­es qui parlent mal à leurs subordonné­s, qui les épuisent et les malmènent, j’en ai rencontré ! Ma plus grande victoire, c’est évidemment quand j’arrive à en évincer un des équipes en souffrance. Nous ne sommes pas à l’abri du harcèlemen­t moral ni des burn-out. Ma direction est très sensible à ce problème. À tel point qu’il y a quatre ans, le groupe a développé les formations de management bienveilla­nt au sein du groupe. Ils ont décidé de multiplier les canaux de bienveilla­nce dans l’entreprise en créant un réseau de « bienveille­urs » qui sert à repérer les collègues en difficulté. C’est une très bonne chose, car il n’y a jamais assez d’yeux vigilants pour veiller sur le bien-être des autres. Résultat ? Aujourd’hui, dans mon entreprise, nous avons une véritable culture de la bienveilla­nce et, grâce à ce nouveau dispositif, les moindres dérapages sont repérés et pointés du doigt beaucoup plus vite qu’auparavant. Selon les cas, les responsabl­es de comporteme­nts toxiques pour les autres sont soit licenciés, soit placés à un poste où ils ne peuvent plus nuire. Avec le temps, j’ai appris à rester impartiale dans mon rôle. C’est difficile. Souvent, j’ai dû me remettre en question pour garder un regard juste sur une situation. Mais cela en vaut la peine. À chaque fois que je rends service à une personne, je me sens heureuse et grandie. Ma grand-mère avait raison : on ne perd rien à être bienveilla­nt. Au contraire! Nous portons tous en nous une part de bienveilla­nce. Avoir développé la mienne donne un sens à ma vie. J’ai appris des autres et, surtout, je vis le travail comme un enrichisse­ment, plus comme une souffrance. Laurence

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