Maxi

TÉMOIGNAGE « Ancienne obèse, je veux aider des femmes comme moi à revivre »

Grâce à une opération, Karine a perdu plus de la moitié de son poids. Elle n’oublie pas pour autant ce qu’elle a vécu et lutte, à sa façon, aux côtés des femmes qui traversent cette épreuve.

- Karine

Cela marque un tournant dans ma vie, mais je suis de nouveau autonome !

ertains mots ne s’oublient pas. Je crois que je me souviendra­i toute ma vie de la remarque de cette cliente agacée au supermarch­é. Ce jour-là, j’attendais tranquille­ment mon tour dans la file réservée aux handicapés quand elle m’a demandé avec virulence ce que je faisais là… Je me suis retournée et je lui ai répondu en souriant : « Vraiment ? Vous ne voyez pas quel est mon problème ? » Face à l’évidence, elle s’est tue. J’étais alors considérée comme handicapée à 80 % à cause de graves problèmes d’obésité. Au fil des ans, ils n’ont cessé de s’aggraver.

Longtemps, pourtant, je n’ai pas eu honte de mon poids.

Je n’ai jamais été mince. À 20 ans, je pesais déjà 70 kg. En même temps, mon poids ne m’a pas empêchée d’être heureuse. À 22 ans, j’ai épousé Gilles, l’homme de ma vie, qui continue de me soutenir aujourd’hui. Il m’a aimée comme j’étais même si, pendant les vingt ans qui ont suivi, je n’ai cessé de m’épaissir un peu plus chaque année. Contrairem­ent à une idée reçue, les obèses ne passent pas leur vie à manger des sucreries devant la télé. Même si je faisais attention, cela ne changeait rien. J’avais l’impression que la moindre salade me restait sur les hanches. Il faut le répéter encore et encore : l’obésité est une maladie due à un métabolism­e particulie­r. Malgré tout, j’ai essayé de mener une vie agréable jusqu’à ce que ma santé en pâtisse. En 2009, des soucis de thyroïde m’ont terrassée. En deux ans, j’ai pris 50 kg. Je suis montée jusqu’à 190 kg : une catastroph­e pour la santé et qui impacte beaucoup de gestes du quotidien.

Beaucoup de petits plaisirs me sont devenus interdits.

Je ne pouvais plus m’asseoir en terrasse, faute de trouver un siège adapté. À la frustratio­n se sont ajoutées les humiliatio­ns : la voiture qui klaxonne parce que je ne traverse pas assez vite ; l’esthéticie­nne qui s’inquiète à voix haute que je casse sa table… J’ai dû renoncer à prendre le bus à cause de ma morphologi­e. Je ne pouvais même plus accomplir de banales démarches administra­tives car il m’était impossible de monter le moindre escalier. Peu à peu, mon mari a commencé à tout prendre en charge. Je ne faisais même plus mes courses. Je me suis vue perdre mon autonomie. Pourtant, je ne voulais pas rester cloîtrée chez moi à vie. Quand j’ai atteint les 197 kg, mon médecin m’a annoncé que je n’aurais peut-être plus que deux ans à vivre si rien ne changeait. Il fallait agir. Une seule solution était possible dans mon cas, à savoir la chirurgie bariatriqu­e. Il m’a suggéré un « sleeve » : cette opération assez lourde, réservée aux cas d’obésité majeure, consiste à réduire la taille de l’estomac de deux tiers. C’est un ultime recours qui modifie à vie la façon dont le corps absorbe la nourriture et implique de nouvelles habitudes alimentair­es.

Malgré le soutien de mon mari, j’étais terrorisée à l’idée de l’opération.

Cette interventi­on nécessite une préparatio­n psychologi­que importante et, par chance, j’ai rencontré un chirurgien formidable, à côté de chez moi. Il m’a mise en confiance et je me suis lancée. Je n’oublierai jamais mon réveil à l’hôpital. J’étais vivante et, surtout, je n’avais pas du tout faim. Pendant trois jours, je n’ai rien pu avaler. Ma rééducatio­n a commencé doucement, par quelques cuillerées de yaourt. Dès le premier mois, j’ai perdu près de 22 kg et senti mon corps se transforme­r. J’ai atteint un palier, sept ou huit mois après l’opération, avant de recommence­r à maigrir. Six ans après, mon poids s’est stabilisé autour de 80 kg. J’ai envie de perdre encore un peu, mais les médecins sont déjà stupéfaits par mon parcours.

Même si j’ai changé de vie, je refuse d’oublier d’où je viens. Je suis redevenue complèteme­nt autonome et plus personne ne m’apostrophe dans la rue.

Pour cela, je vouerai une reconnaiss­ance éternelle à mon chirurgien.

Il a été d’une empathie et d’une humanité incroyable­s à mon égard. Pour lui exprimer ma gratitude et aussi aider d’autres femmes à s’en sortir, j’ai accepté, sans hésiter, de l’épauler un peu à mon tour. J’étais encore avec lui le mois dernier pour une conférence sur l’obésité. Beaucoup de femmes me voient comme un exemple. J’essaie de leur expliquer l’opération que j’ai subie avec pédagogie, mais sans en cacher les réels désagrémen­ts. L’opération ne résout pas tout : c’est juste le début d’une nouvelle vie, un peu compliquée. Elle implique de revoir radicaleme­nt ses habitudes alimentair­es. Désormais, je dois manger de façon très fractionné­e et toujours par petites quantités. Comme je suis vite rassasiée, je dois privilégie­r ce qui est bon pour ma santé. C’est comme un traitement à vie, tout aussi lourd à porter.

Je rencontre régulièrem­ent des femmes qui craquent et se mettent en danger.

Et contre toute attente, c’est parfois difficile à vivre pour le conjoint. Gilles, mon mari, est heureux pour moi. En même temps, il est dérouté d’avoir une femme qui n’a plus autant besoin de lui. Chacun doit retrouver sa place. Je croise souvent des femmes désespérée­s à qui, pour des raisons médicales ou psychologi­ques, l’opération a été refusée. Ce sont des choses qui arrivent et qu’il faut aussi accepter. L’ancienne obèse que je suis veut changer le regard des autres. Car ces femmes méritent tout notre soutien et notre bienveilla­nce.

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