Maxi

Incitons nos hommes à dire ce qui ne va pas

Ils parlent en général moins facilement que nous de leurs problèmes ou de leurs inquiétude­s. Mais ce n’est pas une raison pour les laisser ruminer dans leur coin. Entre questions intrusives et allusions trop indirectes, il existe un juste milieu pour les

- Par Alexia Bohm

Claudia, 46 ans “Je commence toujours par lui parler de moi”

Mon mari a plein de qualités, mais parler de lui, de ce qu’il ressent, de ce qui se passe entre nous, ne fait pas partie de ses traits de caractère. Je vois bien quand il a le moral en berne ou des soucis au travail, mais jamais il ne prend l’initiative d’en parler. Pour lui, comme il me l’a dit plusieurs fois, parler ne résout pas les problèmes. Cela dit, nous sommes mariés depuis dix-neuf ans et il est moins mutique qu’avant. Il faut dire que je pense avoir trouvé le truc avec lui, je parle de nos filles, de leurs soucis, des miens, puis, de manière concentriq­ue, tel un squale, j’en arrive à lui. Une remarque sur sa fatigue, ses mimiques, une question sur son travail et c’est parti pour un tout petit tour. Il lui arrive même de me dire qu’il

L’avis de la psy

trouve bizarre que je laisse passer du temps sans le questionne­r. Je lui demande en riant si ça lui manque, et en riant à son tour, il me répond « un peu ». Je ne relève pas, je fais comme si c’était une plaisanter­ie. Claudia a compris que, pour délier les langues réticentes, il fallait commencer par instaurer un climat d’intimité et de confiance.

Et pour cela, rien de tel que de parler de soi. À partir de là, il est facile de tendre des perches, de tâter le terrain et d’inviter l’autre à se livrer à son tour. Cela permet d’éviter les questions frontales, qui sont vécues par la plupart des hommes comme un interrogat­oire ou une intrusion.

Laurence, 38 ans “J’aide mes fils à accueillir leurs émotions”

Chez nous, on dit ce qu’on ressent. Le positif et le négatif. J’ai la chance d’avoir un mari empathique, sensible, et notre communicat­ion a toujours été claire, fluide et rarement conflictue­lle. Nous avons adopté des règles simples : d’abord, ne jamais dire « tu es ceci ou tu es cela », mais parler de ce que l’on ressent à propos du comporteme­nt de l’autre ; ensuite, ne jamais commenter le ressenti de quelqu’un, car tout ressenti est légitime. Si le plus jeune de nos fils, Soliman, qui a 4 ans, dit « j’ai peur », on ne lui dit pas qu’il ne faut pas avoir peur. On lui dit que nous aussi, à son âge, on avait peur. De même avec l’aîné, Théo, qui a 8 ans. Il sait qu’il peut nous livrer ses états d’âme et qu’on ne va pas le juger. Mes parents trouvent qu’on en fait trop, qu’on passe notre temps à s’ausculter. Je ne suis pas du tout d’accord : j’aide mes fils à accueillir leurs émotions, c’est pour moi aussi important que de s’occuper de leur santé physique. Cela en fera, j’espère, des hommes comme leur père, bien dans leur peau, attentifs aux autres et sachant parler d’eux de manière fine et sensible.

L’avis de la psy

Laurence et son conjoint ont compris que, pour parler de soi de manière intime, il faut être à l’aise avec ses émotions. Ne pas avoir peur de se faire déborder par elles et ne pas être tenté de les refouler. Ce qui fonde l’intimité, c’est l’échange sur ce que l’on ressent. Et pour cela, il faut d’abord savoir accueillir les émotions et ensuite les accepter, et que l’autre les accepte sans les juger, sans les commenter. À partir de là, tout est possible.

Delphine, 43 ans “Je m’arrête avant d’être intrusive”

Un dimanche, autour d’un brunch familial, Roman a dit à son père : « Tu ne veux pas dire à maman qu’elle arrête de me parler quand je rentre de l’école, elle me donne mal à la tête. » Nous avons tous éclaté de rire en même temps. J’avais tendance à le solliciter pour obtenir autant de « matériau » qu’avec sa soeur aînée lorsqu’il avait eu des mauvaises notes ou des problèmes dans la cour de récré. Il se contentait de dire qu’on l’avait poussé ou qu’il n’avait pas compris toute la leçon de la maîtresse. Pour lui, c’était suffisant, mais pas pour moi. Je le questionna­is, je faisais ma petite enquête, je lui en reparlais encore au moment du coucher pour être sûre que tout allait bien. Mon mari m’a alors dit, mais pas devant les enfants, qu’il avait remarqué que je ne repérais pas le moment où Roman se fermait parce qu’il en avait assez de mes questions et non parce qu’il avait des choses à cacher. Nous avons mis un petit protocole au point : Roman sait qu’il ne doit pas nous cacher ce qu’il vit de difficile et il doit également nous dire comment il se sent. À nous ensuite d’évaluer la situation. Je dois dire que la leçon a porté et je me suis surprise à utiliser le même procédé avec mon mari.

L’avis de la psy

Lorsque l’autre est fermé, introverti, distant, par pudeur ou défense, on a tendance à forcer sa porte en croyant l’aider et faciliter le dialogue. Mais on se trompe, comme Delphine parfois. Mieux vaut procéder par touches, en cercles concentriq­ues, et se retirer lorsque l’on se sent devenir intrusif. Faire passer son sentiment d’inquiétude est une chose, bombarder son enfant de questions pressantes en est une autre.

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