Maxi

‘‘J’ai grandi dans un océan d’amour’’

Elle voulait être perçue comme une enfant « comme les autres ». Née de l’amour de deux femmes, Camille, devenue adulte, prolonge le combat de ses mamans à sa façon…

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C’est toujours quelque chose qui suscite la curiosité. Encore aujourd’hui, quand je parle de mes parents et que je raconte d’où je viens, il y a souvent un temps d’arrêt, une pause. Parfois, les gens sont étonnés. Souvent, ils me posent des questions. Certains expriment ouvertemen­t des préjugés ou critiquent sans savoir. À une époque, ces regards me gênaient. À présent, je préfère raconter simplement mon histoire, car elle est finalement assez simple et belle. Petite, je n’ai jamais perçu de différence avec les autres enfants. J’ai connu une enfance à la fois heureuse et banale. J’ai grandi de façon équilibrée et surtout entourée d’amour. En ce qui me concernait, j’avais deux parents, comme les autres, point final. Il y avait ma mère « biologique », qui m’avait mise au monde, et Martine, sa compagne. Elles ont toujours été mes deux mamans, que j’aimais pareilleme­nt, sans distinctio­n. Elles m’ont désirée et « conçue » ensemble, à leur façon. Je n’ai jamais posé de question, car elles ne m’ont jamais caché la vérité sur mes origines. Très tôt, avec des mots d’enfant, elles m’ont expliqué que j’avais été un bébé follement désiré et né par inséminati­on artificiel­le. À l’époque, il y a plus de vingt ans, elles sont passées par un médecin, à Montpellie­r, qui a fait appel à un donneur anonyme. Je suis née sept ans après leur rencontre et nous avons formé une belle famille. Le seul moment étrange dont je me souviens, à l’école, reste la fête des Pères. Avoir un papa ne m’a jamais manqué, puisque j’avais déjà deux parents. Une année, j’ai demandé à ma maîtresse si je pouvais confection­ner un cadeau pour mon autre maman et elle a trouvé cela naturel. Enfant, quand on est entourée de personnes bienveilla­ntes, tout est plus simple. C’est souvent quand les adultes s’en mêlent que c’est plus compliqué. Quand j’avais 6 ans et demi, ma mère biologique est morte dans un accident de voiture. J’étais aussi à bord et j’ai été grièvement blessée. Ma mère biologique avait pris des précaution­s et rédigé un testament, spécifiant bien que, en cas de décès, ma garde devait être confiée à Martine. Cela n’a pas empêché certaines personnes de la famille de s’y opposer. Légalement, Martine ne pouvait pas m’adopter avant ma majorité. En attendant, elle a dû passer devant un juge des tutelles et un conseil de famille. Cela a été éprouvant mais, heureuseme­nt, des dizaines d’amis, de proches et même de parents d’élèves ont rédigé des courriers témoignant qu’elle m’élevait dans un océan d’amour depuis ma naissance. L’administra­tion l’a bien compris. Sur le papier, elle est devenue ma tutrice légale. Dans mon coeur, évidemment, elle n’a jamais cessé d’être ma deuxième maman. Avec le recul, c’est le regard des autres qui m’a donné l’impression d’être différente. À l’adolescenc­e, j’ai commencé à trouver la curiosité d’autrui plus pesante et difficile à vivre. Quand j’ai eu 13 ans, j’ai déménagé sur l’île de la Réunion avec Martine. J’allais entrer en classe de quatrième et j’ai alors eu une idée radicale. Avant de partir, je lui ai dit : « Je vais te demander quelque chose d’horrible, mais est-ce que tu pourrais cacher le fait que tu es gay ? ». Je sais que cela lui a fait beaucoup de peine, mais elle a encaissé et accepté, par amour, car elle a compris que je voulais vivre une adolescenc­e normale, sans étiquette. Je voulais garder une partie de mon histoire pour moi. Là-bas, je repartais de zéro. Je disais que ma mère était morte et que je vivais avec ma tutrice. Je m’en suis beaucoup voulu par la suite. Si je pouvais parler aujourd’hui à l’adolescent­e que j’étais, je lui dirais d’accepter, d’assumer et d’être avant tout fière de qui elle est. C’est aussi pour cela que je raconte plus facilement mon histoire à présent. De mon récit, je veux que les

S’il faut retenir une chose : mon histoire est finalement assez simple et belle

autres retiennent avant tout combien mes mères se sont aimées, combien elles se sont battues et combien elles m’ont entourée. Finalement, c’est assez simple : Martine est aussi ma mère, j’ai besoin d’elle et je l’aime. Quand j’ai décroché mon bac, j’ai décidé que le regard des autres n’avait plus d’importance. J’ai poursuivi mes études supérieure­s à Montpellie­r. Martine est restée vivre à La Réunion et, quand je retourne la voir en vacances, je n’ai plus de raison de mentir. J’ai décidé de me moquer du regard des autres quand il fait mal. À ma majorité, j’ai ressenti une autre libération : j’étais libre de vivre où je voulais, sans la supervisio­n d’un juge des tutelles, et Martine pouvait enfin m’adopter légalement. Ce morceau de papier ne change rien à l’amour que nous nous portons mais, au moins, légalement, nous faisons enfin partie de la même famille. C’est aussi pour cela que je parle aujourd’hui. Lors des débats houleux au moment du vote de la loi sur le « mariage pour tous », j’ai entendu beaucoup de paroles blessantes. J’entendais que des parents du même sexe n’étaient pas aptes à élever des enfants de façon équilibrée. Or, je suis bien la preuve du contraire et pas un cas isolé ! C’est aussi pourquoi, aujourd’hui, je trouve qu’il est important d’entendre la voix des enfants de couples de même sexe, car il reste beaucoup de préjugés. Il arrive que l’on me demande si je suis moi aussi homosexuel­le. C’est indiscret, mais je réponds. Je suis une femme hétérosexu­elle élevée dans une famille homoparent­ale. L’homosexual­ité n’est pas une maladie et ne se transmet pas. Si mes mères m’ont transmis quelque chose, ce sont de belles valeurs, une sécurité, un équilibre et surtout un amour fou. Camille

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