Maxi

Elle a créé des boulangeri­es d’insertion

- Domitille

« Je vends du bon pain et j’aide les chômeurs ! »

Contribuer à changer le cours de vies abîmées, Domitille le faisait déjà en s’occupant d’insertion de personnes en difficulté, mais sans contact direct avec elles. C’est désormais le cas avec les deux boulangeri­es solidaires qu’elle a créées. Une première !

L’idée m’est venue dans le bus alors que je retournais au travail en mangeant un sandwich : des boulangeri­es dans l’économie sociale solidaire, cela n’existe pas, c’est dommage… Embaucher des personnes en difficulté pour les former, durant quatre à vingtquatr­e mois, et les remettre sur le marché de l’emploi dotées d’un savoir-faire et d’une discipline retrouvée, cela existe dans le secteur de l’agricultur­e, des vêtements d’occasion, des traiteurs, mais pas en boulangeri­e. Je connaissai­s le milieu par coeur puisque mon travail auprès des conseils généraux était d’étudier la faisabilit­é de projets de personnes au RSA ou en reconversi­on par la création d’entreprise. Sauf que je ne rencontrai­s pas les postulants, mais uniquement les « administra­tifs » de Pôle emploi ou des associatio­ns. Je le regrettais puisque, après mon diplôme de juriste en droit du travail, j’ai suivi un cursus en sociologie avec un véritable intérêt pour les gens en difficulté, tout simplement parce que j’estime qu’un accident de parcours peut survenir dans toutes les vies. Et je le vérifie maintenant tous les jours. J’ai pu mener à bien mon projet de boulangeri­e d’insertion en 2009, parce que mon CDD prenant fin, cela me donnait droit à une période de chômage alors que, au même moment, je bénéficiai­s de l’héritage de mes grands-parents. Toutefois, il me fallait 300000 euros et, pour atteindre cette somme, je devais obtenir de l’argent des banques. Malgré ma formation, on m’a souri gentiment : ce qui n’a jamais été fait leur semblait infaisable. C’est grâce à une banque solidaire, la Nef, et à des subvention­s d’investisse­ment des collectivi­tés publiques et de fondations que j’ai pu réunir l’argent. J’ai trouvé un local dans le XIIe arrondisse­ment de Paris et le premier Farinez-vous* a ouvert, avec pains, viennoiser­ies et sandwicher­ie. On a commencé à cinq et nous sommes aujourd’hui quatorze, avec un second point de vente dans le XIIIe arrondisse­ment depuis quatre ans ; la fabricatio­n de la viennoiser­ie dans l’un servant à l’autre, et inversemen­t pour le pain. Il faut presque un encadrant par personne formée, les formateurs étant à la charge de la société, les personnes insérées aussi, mais avec le financemen­t des pouvoirs publics. En tout, j’ai vu passer vingt-sept personnes, dont un « cas » : un homme arrivé en insertion dès le début, devenu encadrant parce qu’il avait été boulanger dans une « vie antérieure ». Quand il va s’en aller à la retraite, cela va nous faire un vide, car évidemment, comme dans toute entreprise, il arrive que l’on s’attache et que l’on regrette les partants. Pourtant, chez nous, le départ est assuré tout au plus après vingt-quatre mois, avec le retour de la personne formée au marché traditionn­el de l’emploi. Et c’est le meilleur que l’on puisse leur souhaiter. La satisfacti­on de mon métier, c’est d’abord de faire du bon pain et ses dérivés, car je ne vends pas le caractère social de mes boulangeri­es. Le parcours des artisans ou vendeurs ne figure nulle part dans la boutique et les clients le découvrent uniquement s’ils entretienn­ent une relation privilégié­e avec l’un d’eux. Pas question de faire pitié ! Quant à moi, je ne me prends pas pour une magicienne et mon travail m’apprend à rester modeste : des échecs, il y en a, et tout le travail délicat de l’embauche consiste à détecter si la personne va être capable de s’intégrer à une équipe, d’arriver à l’heure, d’apprendre. J’ai vu un jeune si mal dans sa vie, dont l’entourage était en psychiatri­e, qui ne pouvait pas se concentrer

Le but, c’est de les accompagne­r avec bienveilla­nce, sans mêler trop d’affectif

sur ce qu’il faisait. Apprendre demande une certaine tranquilli­té d’esprit. En même temps, se servir de ses mains pour un travail sain et gratifiant constitue pour certains le salut. J’ai pris un homme qui avait fait une très longue peine de prison et a retrouvé du travail dans la boulangeri­e, alors qu’il ne s’y était jamais intéressé avant. J’en ai vu qui décrochaie­nt après leur premier contrat de quatre mois parce que leurs addictions les poursuivai­ent, quand d’autres ne voulaient pas partir et n’ont jamais cessé de nous donner des nouvelles ! Pour autant, je dois faire attention à ne pas être trop maternante. Comme les encadrants, je dois accompagne­r avec bienveilla­nce, sans tomber dans l’affectif. Le but, c’est d’aider ces hommes et femmes à retrouver confiance en eux, en la société, et un esprit plus positif pour retourner sur le marché de l’emploi. Il y a deux ans, mon fils est né, cela m’a poussée à m’adjoindre une responsabl­e opérationn­elle, devenue mon bras droit. Ce tandem me permet de garder une bonne distance, de rester à ma place d’entreprene­ur et de penser au développem­ent. Comme autrefois, j’ai des liens avec les référents de Pôle emploi avec qui je discute du recrutemen­t, puis de l’évolution de la personne en insertion, sauf que j’ai la satisfacti­on de contribuer concrèteme­nt au renouveau de quelquesun­s. Le défaut, c’est que lorsque les gens s’en sortent, je relativise : « Oh, il (ou elle) s’en serait sorti(e) sans moi », et quand ils ne s’en sortent pas, je ne peux réprimer un sentiment d’échec ou de gâchis. Alors, je me concentre sur le pain, pour 100 % de clients satisfaits !

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