Maxi

Elle a quitté la ville

« Ma vie de fermière vaut tout l’or du monde ! »

- Audrey

epuis toute petite, j’ai été fascinée par les gros animaux, en particulie­r les vaches. Alors que je grandissai­s en ville, près de Toulon, avec des parents boulangers-pâtissiers qui ne voulaient même pas de petit animal, je rêvais déjà de tenir une exploitati­on. J’avais découvert la vie campagnard­e chez ma grand-mère, dans l’arrière-pays, et les vaches dans les fermes alentour. Sauf que je devais être lucide : pour être éleveur aujourd’hui, il faut acheter une ferme, du matériel, beaucoup d’animaux et, évidemment, ne pas être une femme seule. Je n’imaginais pas que le destin allait me faire un beau cadeau : l’amour, et avec lui… une ferme* !

J’ai rencontré Louis au lycée agricole, il y a quatre ans.

Je m’épanouissa­is lors de stages dans des fermes, même quand c’était en Franche-Comté par temps de neige, tout en sachant que je devrai me résoudre à devenir inséminatr­ice ou contrôleur laitier pour côtoyer les vaches et vivre dans la nature. Mon rêve ne me semblait pas réalisable. Mais les grands-parents de Louis avaient été fermiers dans l’arrière-pays varois, à La Roque-Esclapon, où tout le village espérait des repreneurs depuis une dizaine d’années. Pour Louis, qui voulait élever des agneaux, comme pour moi, il n’était pas question de laisser passer cette occasion tombée du ciel. Nous savions que ce serait énormément de travail pour très peu d’argent, mais c’était le prix à payer pour vivre en pleine nature, sans contrainte autre que les horaires du soleil, la météo et les aléas des animaux car, quand une vache ou une brebis met bas, on ne peut pas reporter le rendez-vous !

Le laboratoir­e de transforma­tion du lait en fromage et faisselles

et les locaux de traite ont eu besoin de rénovation, mais ils étaient encore aux normes. Par contre, il a fallu acheter des machines à traire et un tracteur. On aurait pu se mettre de gros emprunts sur le dos et prendre trois cents vaches, mais c’était l’erreur à ne pas commettre. Notre but n’était pas de devenir riches avec une pression monstre sur les épaules, mais de réussir à notre échelle. Louis a deux cents bêtes, un nombre nécessaire pour travailler avec des négociants, mais moi je n’ai que dix vaches parce que je veux avoir avec elles un rapport… humain ! C’est vrai que je noue avec mes bêtes des liens affectifs : chacune a un prénom, je les regarde et, entre mon lever à 5h30 et mon coucher à 22h30, je prends toujours une pause pour les regarder vivre. C’est en plus le meilleur moyen de les maintenir en bonne santé. Louis et moi, chacun à un bout du village sur notre exploitati­on, on va s’aider l’un l’autre quand on peut et on se rejoint bien fatigués à la maison, à mi-chemin entre les deux. De temps en temps, on trouve le temps de faire un dîner avec nos amis, dont des mécanicien­s agricoles, nos alliés les plus précieux, mais également avec d’autres plus urbains ou notre famille. La plupart nous disent : « Vous êtes fous de vous être lancés dans une vie aussi rude ! » Seulement voilà : on aime ça ! Et puis, malgré cinq petites heures de sommeil, nous sommes suffisamme­nt en forme pour nous impliquer dans le comité des fêtes du village !

Nous gagnons peu d’argent, l’équivalent d’un salaire d’employé de bureau

à deux en travaillan­t beaucoup, mais je ne me voyais pas vivre entre quatre murs ou, pire, à la campagne avec quaranteci­nq minutes de trajet pour aller faire un travail qui ne me plairait pas. J’ai bien des horaires, deux heures en fin de journée, mais c’est pour vendre mon lait frais à des habitués ou, certains jours, pour aller porter mes

tommes, yaourts ou faisselles chez des petits détaillant­s ou à « La Ruche qui dit oui ! », une organisati­on qui distribue du « frais et de proximité » en ville. Le contact humain et le bon sens que l’on voit dans notre quotidien remplacent bien des distractio­ns coûteuses. Nous ne dépensons pas pour des choses inutiles parce que nos journées sont bien remplies et largement récompensé­es : la nature nous donne de la joie, mais aussi des oeufs, des produits laitiers, de la viande, quelques légumes que nous faisons pousser, et le foin, les céréales ou la paille pour les animaux. Reste à payer quelques factures et c’est tout. Nous avons le projet d’avoir des enfants dans pas trop longtemps et, au lieu d’aller à la crèche, ils auront la chance de gambader dans les champs, de voir des vaches au lieu d’aller au zoo, et d’apprendre les sciences de la nature ailleurs que dans les livres. À nos yeux, c’est cela la vraie richesse.

En reprenant la ferme, nous nous sommes donné la vie dont nous rêvions,

mais nous avons fait une autre heureuse : la grand-mère de Louis, qui a 80 ans. Notre entreprise lui a rendu une partie de sa jeunesse et, chaque matin, quel que soit le temps, elle passe me dire bonjour et nourrir ses lapins, ses dernières bêtes. Elle nous fait part de son expérience et des leçons ancestrale­s sur l’influence de la Lune, par exemple, et en retour on lui explique scientifiq­uement ce que nous avons appris à l’école et qui était parfois resté pour elle un mystère. Quand je la vois arriver, je ne peux m’empêcher d’être remplie d’espoir pour l’avenir : la vie saine dans la nature, ça conserve ! * La Ferme du Lachens, à La Roque-Esclapon, est aussi sur Facebook.

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