Faire des cadeaux, cela peut virer au casse-tête
Faire le bon choix n’est jamais aisé, mais là ne réside pas la seule difficulté. Fabienne Kraemer, psychanalyste, nous explique quels sont les enjeux qui se cachent sous les jolis papiers et les flots de rubans.
Parce qu’on a peur de ne pas faire plaisir
Il y a, en chacun de nous, un enfant qui veut faire plaisir à sa mère et qui veut lire dans son regard qu’il la comble. C’est cet enfant qui se manifeste au moment où le destinataire découvre notre présent. Notre regard anxieux – et plus le lien affectif est fort, plus l’attente est grande – scrute son visage à la recherche du plaisir, de la déception ou de l’indifférence qui s’y dessine. Ces sentiments sont très intenses et dépendent de ce que l’on a vécu dans notre jeune âge. Nous cherchons à retrouver le regard émerveillé des parents si nous avons eu ce bonheur par le passé, ou à le provoquer si tel n’a pas été le cas. Certains adultes vont multiplier les dons onéreux, rares, ultra-personnalisés pour faire plaisir à l’autre, parce qu’il leur manque toujours cette reconnaissance parentale. Provoquer l’émerveillement du destinataire est une façon inconsciente de compenser cette attente qui remonte à l’enfance. D’autres, en revanche, par peur de revivre la déception ou l’indifférence vécues dans le passé, font des dons sans s’investir particulièrement, ils « marquent juste le coup ». Et parmi ceux-ci, certains prennent les devants en demandant directement au destinataire ce qui lui ferait plaisir.
Parce qu’on a eu des expériences négatives
Le cadeau raisonnable, le cadeau forcé, le cadeau qui en jette trop pour être honnête, le cadeau recyclé… Nous avons toutes connu ce moment de malaise, entre tristesse et colère, vexation et frustration. On peut en plaisanter des années plus tard, il n’empêche qu’il reste ce petit goût amer. Plus les déceptions ont été nombreuses et marquantes, moins, y compris des années plus tard, nous
associons l’idée de cadeaux à une expérience pourvoyeuse de plaisir pour soi et pour l’autre. D’où nos cogitations lorsque vient le temps des étrennes. On n’aimerait pas que se rejoue le scénario qui nous a blessée ou déçue, pas plus que l’on aimerait combler celui ou celle qui nous a blessée ou déçue. Le choix ne repose plus sur des critères objectifs telles la pertinence, l’esthétique ou la valeur financière, ce qui explique que ce moment soit pour nombre d’entre nous un vrai casse-tête.
Parce qu’un cadeau est aussi un message
Un cadeau n’est évidemment pas qu’un cadeau. C’est une information que l’on transmet. Quelle valeur donne-t-on à la relation ? À quelle place la situe-t-on ? Intime, privilégiée, « utilitaire »… Que veut-on dire à l’autre ? « Tu comptes beaucoup pour moi » ou « je te rends la pareille »… Le cadeau peut servir à intensifier des liens, à les distendre aussi, tout comme il peut n’être qu’un jeu social ou familial, une coutume, voire une habitude. Sont également à prendre en compte les mots qui l’accompagnent et le contexte. Les cadeaux « juste pour le plaisir », pour témoigner une affection, une gratitude, ou choisis dans l’intention de faire une surprise, rassurent le destinataire sur son importance dans notre vie. Certains cadeaux n’ont pas de valeur financière et sont immatériels : soutien, compliment, service, écoute. C’est pourquoi, lorsqu’ils passent inaperçus ou qu’ils sont reçus comme un dû, ils peuvent provoquer des conflits ou des rancoeurs. Dans tous les cas, ils permettent de vérifier si l’on est, ou pas, sur la même longueur d’onde. Enfin, certains présents sont des messages négatifs ou perçus comme tels : ce sont, par exemple, les étrennes très onéreuses qui mettent surtout en valeur le donateur, et qui sont du registre de la domination. Tout comme les dons qui disent : je suis plus attentionnée que toi car, moi, je te fais des cadeaux.
Parce qu’on en attend toujours quelque chose en retour
Même si nous affirmons souvent le contraire et que nous en sommes convaincues, nous attendons toujours quelque chose en échange. Le plaisir du destinataire, sa reconnaissance, son émotion, sa gratitude, l’apaisement d’une relation conflictuelle, la confirmation de l’authenticité du lien… Parce que, dans toute relation humaine équilibrée, le don appelle le contredon, et pas seulement de manière matérielle. Voilà pourquoi un accueil distrait ou indifférent n’est jamais très bien vécu. Il en reste toujours un petit ressentiment, une légère rancoeur qui peut parasiter de manière souterraine la relation, changer subtilement la perception que l’on a de l’autre. Le cadeau est toujours vécu inconsciemment comme un petit morceau de soi et, quand il est négligé, c’est notre personne tout entière, à des degrés variables, qui est remise en question. Il n’y a pas que les radins qui refusent de faire des cadeaux, il y a aussi les hypersensibles qui, craignant d’être négligés – et donc blessés –, s’abstiennent et trouvent d’autres moyens, plus sûrs, de faire plaisir.
Parce que l’on joue notre image
Notre cadeau nous représente. Il dévoile nos goûts, nos références culturelles, notre milieu social. Dans tous les cas, et même quand nous croyons le contraire, nous mettons de nous-même, et de manière visible, dans ce geste. Certains ont peur de ne pas être dans le coup, d’offrir du démodé, d’autres craignent de dévoiler leurs moyens financiers, et ce d’autant plus facilement qu’avec Internet il est simple de rechercher et de trouver le prix d’un objet ou d’un vêtement. D’autres préfèrent offrir quelque chose qui leur ressemble, pour se distinguer, pour que l’on pense à eux en voyant l’objet. Les cadeaux très personnalisés, sur mesure, fabriqués, témoignent à la fois d’un lien intime et d’une bonne confiance en soi. Certains encore assument ce qu’ils sont, ce qu’ils aiment et sont sûrs de ce qu’ils peuvent offrir, quand d’autres, manquant de confiance en eux et redoutant le jugement d’autrui, vont faire des choix « sécurisants » pour eux et, souvent, demander au destinataire de les guider.