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Faire des cadeaux, cela peut virer au casse-tête

Faire le bon choix n’est jamais aisé, mais là ne réside pas la seule difficulté. Fabienne Kraemer, psychanaly­ste, nous explique quels sont les enjeux qui se cachent sous les jolis papiers et les flots de rubans.

- Par Alexia Bohm

Parce qu’on a peur de ne pas faire plaisir

Il y a, en chacun de nous, un enfant qui veut faire plaisir à sa mère et qui veut lire dans son regard qu’il la comble. C’est cet enfant qui se manifeste au moment où le destinatai­re découvre notre présent. Notre regard anxieux – et plus le lien affectif est fort, plus l’attente est grande – scrute son visage à la recherche du plaisir, de la déception ou de l’indifféren­ce qui s’y dessine. Ces sentiments sont très intenses et dépendent de ce que l’on a vécu dans notre jeune âge. Nous cherchons à retrouver le regard émerveillé des parents si nous avons eu ce bonheur par le passé, ou à le provoquer si tel n’a pas été le cas. Certains adultes vont multiplier les dons onéreux, rares, ultra-personnali­sés pour faire plaisir à l’autre, parce qu’il leur manque toujours cette reconnaiss­ance parentale. Provoquer l’émerveille­ment du destinatai­re est une façon inconscien­te de compenser cette attente qui remonte à l’enfance. D’autres, en revanche, par peur de revivre la déception ou l’indifféren­ce vécues dans le passé, font des dons sans s’investir particuliè­rement, ils « marquent juste le coup ». Et parmi ceux-ci, certains prennent les devants en demandant directemen­t au destinatai­re ce qui lui ferait plaisir.

Parce qu’on a eu des expérience­s négatives

Le cadeau raisonnabl­e, le cadeau forcé, le cadeau qui en jette trop pour être honnête, le cadeau recyclé… Nous avons toutes connu ce moment de malaise, entre tristesse et colère, vexation et frustratio­n. On peut en plaisanter des années plus tard, il n’empêche qu’il reste ce petit goût amer. Plus les déceptions ont été nombreuses et marquantes, moins, y compris des années plus tard, nous

associons l’idée de cadeaux à une expérience pourvoyeus­e de plaisir pour soi et pour l’autre. D’où nos cogitation­s lorsque vient le temps des étrennes. On n’aimerait pas que se rejoue le scénario qui nous a blessée ou déçue, pas plus que l’on aimerait combler celui ou celle qui nous a blessée ou déçue. Le choix ne repose plus sur des critères objectifs telles la pertinence, l’esthétique ou la valeur financière, ce qui explique que ce moment soit pour nombre d’entre nous un vrai casse-tête.

Parce qu’un cadeau est aussi un message

Un cadeau n’est évidemment pas qu’un cadeau. C’est une informatio­n que l’on transmet. Quelle valeur donne-t-on à la relation ? À quelle place la situe-t-on ? Intime, privilégié­e, « utilitaire »… Que veut-on dire à l’autre ? « Tu comptes beaucoup pour moi » ou « je te rends la pareille »… Le cadeau peut servir à intensifie­r des liens, à les distendre aussi, tout comme il peut n’être qu’un jeu social ou familial, une coutume, voire une habitude. Sont également à prendre en compte les mots qui l’accompagne­nt et le contexte. Les cadeaux « juste pour le plaisir », pour témoigner une affection, une gratitude, ou choisis dans l’intention de faire une surprise, rassurent le destinatai­re sur son importance dans notre vie. Certains cadeaux n’ont pas de valeur financière et sont immatériel­s : soutien, compliment, service, écoute. C’est pourquoi, lorsqu’ils passent inaperçus ou qu’ils sont reçus comme un dû, ils peuvent provoquer des conflits ou des rancoeurs. Dans tous les cas, ils permettent de vérifier si l’on est, ou pas, sur la même longueur d’onde. Enfin, certains présents sont des messages négatifs ou perçus comme tels : ce sont, par exemple, les étrennes très onéreuses qui mettent surtout en valeur le donateur, et qui sont du registre de la domination. Tout comme les dons qui disent : je suis plus attentionn­ée que toi car, moi, je te fais des cadeaux.

Parce qu’on en attend toujours quelque chose en retour

Même si nous affirmons souvent le contraire et que nous en sommes convaincue­s, nous attendons toujours quelque chose en échange. Le plaisir du destinatai­re, sa reconnaiss­ance, son émotion, sa gratitude, l’apaisement d’une relation conflictue­lle, la confirmati­on de l’authentici­té du lien… Parce que, dans toute relation humaine équilibrée, le don appelle le contredon, et pas seulement de manière matérielle. Voilà pourquoi un accueil distrait ou indifféren­t n’est jamais très bien vécu. Il en reste toujours un petit ressentime­nt, une légère rancoeur qui peut parasiter de manière souterrain­e la relation, changer subtilemen­t la perception que l’on a de l’autre. Le cadeau est toujours vécu inconsciem­ment comme un petit morceau de soi et, quand il est négligé, c’est notre personne tout entière, à des degrés variables, qui est remise en question. Il n’y a pas que les radins qui refusent de faire des cadeaux, il y a aussi les hypersensi­bles qui, craignant d’être négligés – et donc blessés –, s’abstiennen­t et trouvent d’autres moyens, plus sûrs, de faire plaisir.

Parce que l’on joue notre image

Notre cadeau nous représente. Il dévoile nos goûts, nos références culturelle­s, notre milieu social. Dans tous les cas, et même quand nous croyons le contraire, nous mettons de nous-même, et de manière visible, dans ce geste. Certains ont peur de ne pas être dans le coup, d’offrir du démodé, d’autres craignent de dévoiler leurs moyens financiers, et ce d’autant plus facilement qu’avec Internet il est simple de rechercher et de trouver le prix d’un objet ou d’un vêtement. D’autres préfèrent offrir quelque chose qui leur ressemble, pour se distinguer, pour que l’on pense à eux en voyant l’objet. Les cadeaux très personnali­sés, sur mesure, fabriqués, témoignent à la fois d’un lien intime et d’une bonne confiance en soi. Certains encore assument ce qu’ils sont, ce qu’ils aiment et sont sûrs de ce qu’ils peuvent offrir, quand d’autres, manquant de confiance en eux et redoutant le jugement d’autrui, vont faire des choix « sécurisant­s » pour eux et, souvent, demander au destinatai­re de les guider.

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