Maxi

TÉMOIGNAGE « J’ai appris à mieux écouter mon corps »

Responsabl­e d’un institut de soins, Christelle s’est longtemps occupée des autres sans suffisamme­nt penser à elle. Jusqu’au jour son corps a lâché, ne lui laissant plus le choix de continuer comme avant…

- Christelle

Pas plus tard que la semaine dernière, je me suis octroyée un jour de congé supplément­aire. C’est possible car je travaille à mon compte. Néanmoins, il y a un an, je sais que j’aurais encore hésité. Tous les indépendan­ts le savent : prendre une telle décision, c’est accepter de gagner un peu moins bien sa vie. Cependant, il faut savoir faire attention à soi. Mon corps, un jour, me l’a brutalemen­t rappelé. Après, plus rien n’a jamais été comme avant…

Pendant des années, je n’ai pas senti la fatigue s’accumuler.

J’avais pourtant essayé de me ménager un minimum ! Après avoir été aide-soignante pendant quinze ans, je m’étais mise en disponibil­ité, car je sentais justement que je n’avais plus le temps de prendre bien soin ni des miens ni des autres. Après mon divorce, je suis devenue assistante maternelle. Ensuite, j’ai suivi une formation pour m’installer à mon compte et ouvrir un centre de bienêtre. J’ai inauguré le salon « Chris’Cocooning » il y a sept ans, chez moi, à Lamballe, en Bretagne. Malgré tout, parfois, « ce sont les cordonnier­s qui sont les plus mal chaussés » ! J’ai pensé, à tort, que j’allais tout gérer. Comme beaucoup de femmes, j’ai cru que j’arriverais à tout faire… Mais c’était compter sans certains aléas de la vie. Mon père est tombé malade et je me suis occupée de lui pendant trois ans, avant qu’il ne meure. Quand on devient aidant, il y a des questions que l’on ne se pose pas. Il faut être là pour l’autre, un point c’est tout. On est pris dans un engrenage. Je sentais bien que j’étais fatiguée, mais je me disais aussi que je n’avais pas le choix. Il fallait avancer. Avec le recul, je m’aperçois que mon corps a tenu tant qu’il y avait des choses à gérer. Quand mon papa est décédé, je me suis occupée des nombreuses formalités, et ce, pendant plusieurs semaines. Et mon organisme a finalement lâché, le jour où j’ai cru pouvoir reprendre une existence normale…

Je n’oublierai jamais cette date. C’était le 25 septembre.

Je pensais aller bien, alors que ce n’était pas le cas. J’ai commencé à ressentir une sorte de fourmillem­ent dans la joue droite. Ma lèvre frétillait, c’était une drôle de sensation. J’ai aussi ressenti un gros mal de tête. J’ai pris un cachet en espérant que cela allait s’arranger. Comme la douleur persistait, je suis allée voir mon médecin après ma journée de travail. Il ne m’a même pas auscultée : dès qu’il m’a vue, il m’a envoyée aux urgences. J’avais une lèvre tombante et il a tout de suite compris ce qui m’arrivait. Je faisais un AVC, un accident vasculaire cérébral. J’ai vraiment eu de la chance d’être soignée à temps. J’ai passé une semaine en soins intensifs. Encéphalog­ramme, ponction lombaire, électrocar­diogramme : j’ai tout eu, pour comprendre. J’espérais avoir juste un nerf bloqué au niveau du visage. En réalité, j’avais un caillot de sang dans le cerveau. J’ai eu doublement de la chance : je prenais alors des médicament­s pour fluidifier le sang et soigner une hernie discale, ce qui a sans doute limité les dégâts et réduit la taille du caillot. Mais du jour au lendemain, j’ai dû radicaleme­nt changer de vie. Afin de me reposer, l’hôpital m’a même interdit d’utiliser mon ordinateur et mon téléphone. J’ai juste eu le droit de prévenir mes clients pour annuler les prochains rendez-vous. Les médecins m’ont expliqué que j’avais échappé au pire et que je devais absolument me ménager. Ils voulaient même que j’aille en maison de repos pour reprendre des forces. Étant travailleu­se indépendan­te, je ne pouvais me le permettre financière­ment. Cependant, je les ai écoutés attentivem­ent…

Il y a clairement un « avant » et un « après » cet AVC.

Même si j’ai eu la chance d’avoir peu de séquelles, j’ai ressenti certains effets

Aujourd’hui je n’hésite plus à alerter : au moindre signe, consultez !

de mon accident cérébral. Au début, j’avais du mal à écrire et je confondais certaines lettres, par exemple, car mes mains avançaient plus vite que ma tête. Lentement, cependant, j’ai retrouvé mes moyens. J’ai recommencé le travail très doucement et veillé à prendre des jours de repos. Je fais aussi attention à mon alimentati­on : je ne mange plus sur le pouce, mais à heures fixes, et équilibré. Je sais que je dois faire un peu de sport et m’aérer. Je l’ai échappé belle ! Depuis cet épisode, j’entends des histoires terribles de jeunes qui sont touchés. Beaucoup doivent réapprendr­e à parler, à marcher. Certains ne s’en remettent jamais.

Je reçois énormément de clients en situation de burn-out

dans mon salon. Je vois aussi beaucoup de salariés tendus car leur entreprise va être reprise. Je ne compte plus, non plus, tous ceux qui doivent s’occuper d’un proche. Aujourd’hui, je n’hésite plus à les alerter. Je leur rappelle que la vie peut devenir un engrenage, et tout est alors question de modération. Même si nous sommes tous pris par nos activités, au moindre signe, nous devons consulter. Ce qui m’est arrivé ne doit pas être tabou. Je veux justement que mon expérience serve aussi aux autres. Pour cela, j’ai repris une formation. J’ai déjà créé un groupe de parole sur Facebook* pour permettre d’échanger sur ce sujet délicat. À terme, j’aimerais organiser des conférence­s auprès de population­s particuliè­rement à risque, comme les personnels de santé et les aidants. Chaque jour qui passe, je me dis que moi, je m’en sors bien. Et cette nouvelle vie doit aussi servir à aider les autres…

* Rens. sur facebook.com/groups/avcburnout.

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