Maxi

Passionnée par les félins « Je suis devenue soigneur animalier par instinct »

Après une première vie profession­nelle très loin des animaux sauvages, Audrey a changé de voie et part chaque matin travailler dans la jungle… en plein Paris !

- Par Catherine Siguret Audrey

Un jour, j’ai pris le temps de me poser pour me demander ce qui me rendait vraiment heureuse, et qui illuminait chaque fois ma journée. Ma réponse est tombée sans appel : être en contact avec les animaux. Jusque-là, je travaillai­s dans la production théâtrale. Ma mère m’avait orientée vers une formation culturelle ; des amis avaient été mes premiers employeurs, et j’avais suivi cette voie sans me poser de question. Ma passion pour les animaux n’avait jamais envahi mon existence, sauf que j’étais fascinée par les grands félins, vus à la télé, et que j’étais incapable de passer près d’un champ sans aller voir les vaches ou les moutons. Au milieu des bêtes, je me sentais dans mon élément. Mais je n’avais pas envie de devenir toiletteus­e, et je n’avais pas les diplômes requis pour devenir vétérinair­e. C’est là que j’ai découvert le métier de soigneur animalier. Vivre au contact d’animaux sauvages, tout apprendre d’eux, leur physiologi­e, leur comporteme­nt, contribuer à sauvegarde­r les espèces menacées dont certaines n’existent plus que dans les zoos à cause du braconnage ou de la déforestat­ion : tout cela me plaisait ! J’ai donc décidé de suivre la formation. Pendant dix mois, j’ai alterné stages et théorie, apprenant le métabolism­e et les conditions naturelles d’existence des animaux, des grands herbivores (girafes, etc.), comme des carnivores, des singes, des reptiles ou des oiseaux, mais aussi tout ce que l’on doit savoir sur la sécurité, la réglementa­tion et l’entretien quotidien. J’ai eu la chance d’être engagée au Parc zoologique de Paris*, avec ses 2 000 animaux, de l’otarie à la girafe en passant par les serpents ou les zèbres. J’ai rejoint l’équipe de douze soigneurs de la zone Guyane-Madagascar, qui compte une centaine d’animaux, des lémuriens, différente­s espèces de singes, et surtout les grands félins, des jaguars, « mes » grands félins bien aimés. Notre but premier, c’est que leur vie soit aussi proche que possible de leur état de nature. Chaque matin, j’ai l’impression d’arriver à des milliers de kilomètres de Paris, au milieu de la végétation hantée par les cris des animaux, mais je ne suis pas là en spectatric­e. Mon métier est très physique, avec le nettoyage et l’alimentati­on notamment. Je vérifie aussi qu’aucun n’est blessé ou malade, certains disposant même de caméras vidéo quand on a noté un comporteme­nt un peu étrange, des gestes répétitifs qui signalent un moral en berne, une quête d’isolement chez un animal qui vit en groupe, par exemple. Après avoir récupéré la nourriture préparée la veille, on nettoie les enclos, on vérifie leur étanchéité, puis on fait sortir les animaux et on les observe : s’ils mangent avec entrain, c’est signe de bonne santé ! Je nettoie ensuite les espaces de nuit, ce qui prend une demi-journée et demande beaucoup de ménage.

Mais la récompense est ailleurs, les distraire, les occuper, et surtout faire

de l’entraîneme­nt médical. Par exemple, on va apprendre au jaguar à dresser ses pattes contre les grillages parce qu’on a besoin de soigner ses coussinets, ce qui évite l’anesthésie, ou encore on va l’habituer à se tenir de profil contre la grille parce qu’il aura besoin d’une prise de sang, le tout sur recommanda­tions des vétérinair­es. Il faut beaucoup de temps et de patience, en actionnant le levier action-récompense. En cas de piqûre quotidienn­e, l’animal finit par traduire : « Je me fais piquer, mais après j’ai du poulet. » Bien sûr, il ne faut pas que l’épreuve soit trop supérieure à la récompense, ils ne sont pas idiots ! Cela, on le

Je suis comblée par les naissances, comme tous les soigneurs !

vérifie tous les jours. Pour stimuler leur instinct ; on cache la nourriture dans des bambous ; on rend la friandise difficilem­ent accessible ; on imite leur vie naturelle. Il y a des moments de grâce, comme lorsqu’Aramis, le mâle jaguar, qui est mon chouchou, jouait à se faire arroser pendant la période de canicule, mais on ne s’y trompe jamais : ces gros chats qui font 90 kilos nous tueraient d’un seul coup de patte ! C’est aussi leur instinct. Bien sûr, je m’attache à certains, mais je n’oublie jamais qui ils sont, justement parce que je les aime : des animaux sauvages ! Engagée dans une ONG internatio­nale de sauvegarde des félins, Panthera**, je suis comblée par les naissances, comme tous les soigneurs. Elles prouvent que l’animal a trouvé son équilibre, propice à la reproducti­on. Nous sommes très distants quand la mère élève ses petits, pour qu’elle comprenne qu’on ne s’en mêle pas. J’ai vu naître deux bébés jaguars, aussi adorables que rapidement dangereux. Non, un animal sauvage ne s’apprivoise pas ! Chaque jour, je vis une émotion plus ou moins intense, et je rentre chez moi avec mon odeur de fauve, malgré la douche et le changement de tenue, en mesurant la chance que j’ai d’être une telle privilégié­e !

Quand j’ai commencé ma formation, j’ai demandé à mon futur mari, régisseur et comédien, s’il m’aimerait encore dans mon rôle très agricole et « ménager ». Depuis, je suis surprise de voir au contraire combien mon métier fascine tout mon entourage et suscite des questions, plus encore qu’un métier artistique ! Dans ma vie aussi, j’ai bien fait de suivre mon instinct !

* Avenue Daumesnil, 75012 Paris. Rens. sur parczoolog­iquedepari­s.com. ** Rens. sur panthera.org.

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