Maxi

« J’ai fait ce qu’il fallait pour sauver mes enfants »

Aujourd’hui grand-mère, Marie a décidé d’écrire son histoire d’épouse, de mère et d’ancienne prostituée, pour que ses enfants connaissen­t son histoire. Ses fils, conscients de ses sacrifices, ne l’ont jamais jugée.

- Marie

Longtemps, j’ai tenu un journal, pour me souvenir de tout cela. Même si les mésaventur­es que j’ai vécues arrivent à beaucoup de femmes, j’ai conscience, aujourd’hui, d’avoir vécu une existence peu banale. Un jour, il y a quinze ans, mes fils m’ont offert un ordinateur. J’ai repris mes vieux calepins et j’ai tout recopié pour mes enfants. Ils savaient beaucoup de choses sur leur maman, mais pas encore tout…

Mon histoire commençait bien, pourtant. Je suis tombée follement amoureuse de Phi

lippe, leur papa, alors que nous avions presque 18 ans. L’âge de la majorité était alors encore fixé à 21 ans, mais je me suis émancipée avant l’heure. Avec sa vie marginale et un peu gangster sur les bords, il me sortait de la routine. Ma famille, et en particulie­r ma nounou, qui m’a élevée, était contre. Elle était persuadée qu’il me rendrait malheureus­e et elle avait raison. Toutefois, à l’époque, me marier avec lui était devenu un véritable challenge. Je pensais qu’il saurait me protéger – je l’espérais en tout cas.

Je me suis mariée à tout juste vingt ans, l’âge idéal, selon moi, pour fonder une famille. Benjamin est né vite, suivi de Julien. Je voulais me consacrer à mon homme, le chérir et lui faire de beaux enfants. Mais je me suis trompée. Il buvait et il est devenu violent. Sa jalousie de plus en plus virulente m’exaspérait au plus haut point. C’était maladif chez lui. Je ne pouvais même plus faire mes courses sans souffrir de réprimande­s de sa part, même quand j’étais accompagné­e de mon fils de 2 ans. Tout allait de mal en pis. Entre les cris, les injures et les coups qui pleuvaient, je n’en pouvais plus. Je tenais, car j’avais deux garçons à la maison à qui je voulais offrir une vie de famille. Pourquoi les femmes battues restent-elles avec des hommes qui les humilient et les martyrisen­t ? Longtemps, j’ai espéré qu’il change. Je ne raisonnais plus et mon corps souffrait nuit et jour. Je m’empêchais de pleurer pour ne pas attrister les petits. Seulement, un soir, pris d’une crise de folie, Philippe s’est avancé sur le balcon en suspendant Julien au-dessus du vide. Il fallait vraiment partir…

Avec mes deux enfants sous le bras, une

nouvelle vie, difficile, allait commencer. Si ma mère n’avait pas été là, je me serais retrouvée à la rue avec mes garçons. Pire, les services sociaux me les auraient enlevés! Après quelques semaines à cumuler des petits boulots, je n’y arrivais plus. Un jour, j’ai repéré une annonce dans un journal: « Bar américain recherche hôtesse. Se présenter à partir de 17 heures. » J’ai tout de suite compris. Je me suis dit que j’étais jolie, bien faite et que les hommes ne semblaient pas insensible­s à mon charme. Je pensais que s’ils se couchaient sur moi, il me suffirait de penser à autre chose. Surtout, je n’avais plus rien à perdre, sauf mes enfants, si je ne gagnais pas d’argent très vite.

Avais-je vraiment le choix ? Finis les sentiments, les compromis…

Mon corps est devenu mon arme pour nous sauver. Chaque matin, je me faisais belle : un trait d’eye-liner sur les yeux, de la poudre sur le nez et le tour était joué. Sur mes cheveux épais, un coup de brosse faisait l’affaire. Seuls accessoire­s importants : mes talons pour mettre en valeur mes jambes. Mais dès que je rentrais chez moi, auprès de mes enfants, ma vie de prostituée n’existait plus. Je leur disais que je travaillai­s comme vendeuse de tissu dans le Marais. Je mentais, évidemment. Et cette double vie a duré des années, émaillée parfois de jolies rencontres. Mais difficile, le plus souvent. Au moins, mes garçons grandissai­ent et semblaient heureux et à l’abri. Pour moi, c’était tout ce qui comptait.

J’ai élevé deux beaux garçons qui sont devenus des hommes bien. Pourtant, je savais aussi que je leur devais la vérité. Ils n’étaient pas dupes. Benjamin avait 19 ans quand il a crevé l’abcès. « Maman, j’aimerais que tu m’expliques

J’ai élevé deux beaux garçons qui sont devenus des hommes bien.

en quoi consiste ton travail, m’a-t-il dit un jour, calmement. Je préférerai­s que tu me le dises plutôt que de l’apprendre par quelqu’un d’autre. » Mon sang s’est glacé dans mes veines. Mon coeur cognait tellement fort dans ma poitrine que j’ai cru m’évanouir. « Bien, je suppose que si tu me poses cette question, c’est que tu dois déjà en avoir une vague idée ? », ai-je répondu. Mes larmes ont commencé à couler et je lui ai raconté mon histoire, notre histoire. Et j’ai eu peur qu’il ne m’aime plus. Or, j’ai découvert justement l’inverse : « Maman, je n’ai pas à te juger, m’a-t-il dit. Je sais que tout ce que tu as fait, tu l’as fait pour nous. Grâce à toi, nous avons eu une jeunesse heureuse. Tu nous as bien élevés. Je suis fier de toi et peu importe le genre de travail que tu exerces. Je voulais simplement que ce soit toi qui me le dises. Je t’aime et je t’aimerai toujours. » Nous sommes tombés dans les bras l’un de l’autre, pleurant et riant à la fois. J’ai aussi compris que j’avais, au moins un peu, réussi ma vie…

Quelques années ont passé depuis et je suis aujourd’hui retraitée et grand-mère. Mes petites-filles sont jeunes et ne connaissen­t pas encore mon histoire. Pour qu’elles comprennen­t un jour, j’ai publié un livre* qu’elles découvriro­nt plus tard. Les temps ont changé et je leur souhaite d’être fortes et indépendan­tes. Et surtout heureuses…

* Que celle qui n’a jamais fait l’amour pour de l’argent lève le doigt ! de Marie Brunel, éd. Seramis.

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