Elle transforme les appareils auditifs en bijoux
Malentendante et formée aux beaux-arts, Nathalie a inventé des bijoux amovibles qui se clippent sur un appareil auditif en quelques secondes.
« J’aide à faire accepter la différence »
Ce jour-là, j’ai bien entendu ! En novembre dernier, j’ai été appelée sur scène pour recevoir un joli prix de l’association H’Up. J’ai obtenu le trophée de « l’entrepreneur de l’année » en situation de handicap et « en activité depuis plus de trois ans ». C’est une sacrée reconnaissance quand on sait que je porte ce projet depuis près de quinze ans ! Aujourd’hui, tout le monde me félicite pour mon parcours. Au final, j’ai transformé une petite idée en véritable entreprise sociale et solidaire. Mais avais-je vraiment le choix ?
Je suis malentendante depuis l’âge de 12 ans. Mon handicap a été découvert à l’école.
En cours, je n’entendais pas bien et mes parents ont fini par consulter un médecin. J’ai découvert alors que j’étais sourde à 70 %. C’est une nouvelle difficile à accepter quand on est enfant. Très vite, aussi, j’ai dû porter des appareils auditifs pas très discrets. À l’âge où l’on essaie de savoir qui l’on est et où l’on veut être « comme tout le monde », c’était compliqué à vivre. Malgré tout, j’étais bonne élève et ma différence ne m’a jamais empêchée d’étudier. J’ai suivi une scolarité normale, sans aménagement particulier. En classe de 3e, j’ai même demandé à effectuer un stage chez mon audioprothésiste pour comprendre et apprendre le fonctionnement de mes appareils. J’avais appris à changer mes coques et j’avais testé des versions différentes. À l’époque, déjà, j’avais eu l’idée de lui demander de changer la coque marron pour une coque transparente et, plus tard, une coque rose flashy, pour entrer au lycée. Avais-je déjà un projet derrière la tête, ou plutôt derrière l’oreille ? Peut-être… J’aurais adoré devenir audioprothésiste. Pour cela, j’ai passé un bac scientifique. Mais je n’ai pas pu suivre la formation que je voulais, car je n’entendais pas assez bien pour régler les appareils des patients. J’ai finalement poursuivi mes études aux Beaux-Arts avec la spécialisation communication visuelle. Après mon diplôme, j’ai travaillé cinq ans comme infographiste dans une société d’assurances. Mais mon handicap m’a encore rattrapée. Sourde à près de 90 %, je ne pouvais plus suivre les réunions ni travailler avec mes collègues. J’ai dû quitter mon emploi et subir une implantation cochléaire pour entendre à nouveau. Cette opération, qui transforme les sons en signaux électriques envoyés directement au nerf auditif, a changé ma vie. Désormais, de ma différence, j’allais faire un atout. Après mon opération, j’ai dû porter un appareil plus gros à l’oreille. Pour transformer le regard des autres et le mien, j’ai essayé de le « customiser », c’est-à-dire de le détourner en accessoire de mode. Je me suis alors souvenue d’un voyage à Tahiti. Là-bas, on dit « bienvenue » avec des fleurs accrochées à l’oreille. J’ai eu l’idée de détourner ce joli symbole.
Je ne voulais plus cacher mon appareil mais davantage attirer le regard des autres de façon positive.
En effet, il n’était pas rare que l’on m’interpelle dans la rue pour me dire que ma fleur était jolie. J’ai aussi constaté que c’était un moyen d’ouvrir la discussion sur ce handicap, de façon bienveillante. Mais, surtout, je me suis décidée à entreprendre et à proposer mes créations à d’autres le jour où j’ai montré un de mes bijoux à une enfant malentendante. J’ai posé ma fleur sur son appareil et j’ai vu des étoiles dans ses yeux. Son regard sur son handicap a immédiatement changé et cela m’a bouleversée. J’y ai vu comme un moment d’acceptation. J’ai compris que je n’offrais pas seulement un bijou, mais aussi un moyen de redonner confiance et d’assumer sa différence. Ma société, Odiora*, est ainsi née. Il suffisait d’y penser : nous allions transformer les appareils auditifs en accessoires de mode aussi tendance que certaines montures de lunettes !
“Habiller les oreilles” d’une fleur, c’est aussi un moyen de redonner confiance
Comme beaucoup de personnes en situation de handicap, j’ai dû me créer mon propre emploi.
Cependant, je suis fière du chemin parcouru, car je me suis lancée dans l’entrepreneuriat avec une démarche citoyenne. J’ai dû créer près de mille pièces, depuis trois ans, et je reçois des témoignages très émouvants. « J’habille » des appareils auditifs comme des implants cochléaires et mes bijoux aident à accepter la différence. Une maman m’a ainsi envoyé une photo de sa fille que ses copains appellent maintenant la « petite fille à la fleur ». Notre marque apporte une touche d’élégance discrète à un handicap invisible. Pour ma part, je porte mes créations tous les jours : elles se clippent en une seconde et peuvent s’assortir à ma garde-robe.
Mais j’ai bien d’autres idées encore.
Je songe à des bijoux dits « solidaires », assortis aux bijoux pour prothèses auditives, et que des proches pourraient porter pour être un soutien à un enfant malentendant, par exemple. Au-delà du handicap, j’imagine des bijoux dans le but de créer du lien entre deux mondes. J’espère aussi, à moyen terme, lancer un partenariat avec une enseigne de distribution d’audioprothèses, afin qu’Odiora soit disponible pour le plus grand nombre et prenne une nouvelle dimension, comme pour les lunettes aujourd’hui. À ma modeste échelle, j’aide les malentendants à mieux accepter leur handicap. Mais j’aide aussi les autres à les remarquer et à mieux communiquer avec eux…