Maxi

« Je veux aider d’autres enfants à retrouver leurs parents »

Abandonnée à sa naissance, Fanette a retrouvé sa mère biologique juste avant sa mort. Pour ne plus que les familles soient séparées, elle a imaginé un « site de rencontres » inédit…

- Fanette

C’est un film, beau et difficile, que je regarde de temps en temps. À l’écran, ma mère a 47 ans mais en paraît quarante de plus. Elle m’a abandonnée à la naissance et je viens de la retrouver. J’ai eu l’idée de graver ce moment sur pellicule. Elle a mené une vie marginale, mais raconte qu’elle n’a jamais perdu l’espoir de me retrouver. Comme beaucoup de femmes dans son cas, elle n’avait plus aucun recours légal. Mais aujourd’hui, grâce à la technologi­e, tout cela peut changer…

À ma naissance, en 1974, elle m’avait appelée Linda.

J’ai toujours su que j’étais une enfant adoptée. Abandonnée sous X, j’ai été rebaptisée Sylvie, puis Nathalie, neuf mois plus tard, par ma mère adoptive, avant que je préfère moi-même m’appeler Fanette. Personne ne m’a jamais caché mon histoire et, depuis toute petite, j’ai nourri le désir de retrouver ma mère biologique. Je la recherchai­s dans les regards, persuadée qu’un jour je croiserais son chemin et la reconnaîtr­ais. Quand, à mon tour, je suis devenue maman et ai accouché de mon fils, j’ai engagé des démarches officielle­s auprès du CNAOP (Conseil national pour l’accès aux origines personnell­es) pour la retrouver. Dans un sens, j’ai eu de la chance, car les recherches ont abouti rapidement, en 2003. Malheureus­ement, ma mère biologique n’allait pas très bien. Elle était clocharde, à Marseille, et avait été ramassée par les pompiers. Je suis allée la retrouver en catastroph­e et elle m’a raconté mon histoire. J’ai ainsi appris que j’étais l’aînée d’une fratrie de sept enfants. Ma mère, d’origine marocaine, et élevée dans une famille musulmane traditionn­elle, avait été contrainte de m’abandonner par sa propre mère. Elle ne s’en est jamais remise et a sombré dans la dépression et la marginalit­é. Peu à peu, tous ses enfants lui ont été retirés. J’ai eu l’idée de la filmer pour moi, mais aussi pour mes frères et soeurs que je retrouvera­is par la suite. J’ai bien fait, car elle est morte l’année suivante, éprouvée par la vie. Au moins, elle a eu le temps de me dire qu’elle n’avait jamais cessé de penser à moi et qu’elle avait vécu dans le fol espoir de me revoir un jour.

L’idée de créer une applicatio­n pour réunir ces enfants et parents m’est venue l’année dernière.

Après avoir retrouvé ma mère, j’ai passé quinze ans à reconstitu­er mon « arbre » et à retrouver mes racines. Ce n’est qu’en 2017 que j’ai localisé tous mes frères et soeurs. Or, je ne pouvais m’empêcher de penser, qu’avec les moyens de la technologi­e actuelle, tout pourrait être plus simple. Même si ce n’est pas facile, les enfants nés sous X peuvent engager des démarches pour retrouver leurs parents.

Certains y arrivent, d’autres pas. En revanche, les mères, elles, ne disposent d’aucun recours. Au-delà du délai légal de deux mois, elles ne peuvent plus revenir en arrière, ni se manifester ! Or, beaucoup de femmes, comme ma mère, n’ont pas vraiment abandonné leur enfant de leur plein gré. Mon applicatio­n, baptisée Accesauxor­igines.com*, est très simple : parents et enfants qui ont accouché ou sont nés sous X peuvent s’inscrire en indiquant juste une date et un lieu de naissance. Cela fonctionne ensuite comme un site de rencontres confidenti­el. Toute personne majeure peut créer un profil et reçoit une notificati­on si quelqu’un d’autre, mère ou enfant, le recherche. Il existe déjà des sites mais ils ne sont pas très pratiques. Plus nous serons nombreux à nous inscrire, et plus l’algorithme pourra réunir des familles. L’idée est de rassembler sur une seule applicatio­n toutes les demandes et de travailler avec le CNAOP et toutes les associatio­ns intéressée­s pour faire avancer les choses…

Avec la technologi­e moderne, tout peut être plus simple

La vie m’a appris que l’on ne peut pas vivre sereinemen­t sans connaître son histoire.

Je ne veux plus que d’autres, comme moi, perdent du temps et passent à côté de leurs parents ou de leurs enfants. Mes frères et soeurs, par exemple, n’ont pas eu la chance de connaître leur mère. Or, parfois, nous ne vivons pas si loin… Enfant, j’étais souvent persuadée que ma mère était près de moi. Je ne l’ai pas rêvé. J’ai grandi en Bretagne et retrouvé une tante qui tenait un bar dans un village voisin. Adolescent­e, j’y allais pour jouer au babyfoot et boire des diabolos menthe. Non seulement j’ai côtoyé quelqu’un de ma famille sans le savoir, mais ma mère biologique y a aussi travaillé quelque temps. Je lui ai peut-être parlé ! D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si elle est retournée à Marseille pour mourir. Pour se rapprocher de nous, elle est retournée là où tout avait commencé. Elle n’avait que 18 ans quand elle a poussé les portes de la clinique de la Conception pour accoucher, mais elle n’a pu me garder que dix jours contre elle. C’est tragique, car je sais qu’elle a toujours pensé à ses enfants. Des membres de sa famille, retrouvés depuis, m’ont raconté qu’elle n’avait cessé de pleurer une certaine Linda. Comme elle était en dépression, ils se demandaien­t si elle avait encore toute sa tête. Il est si difficile de se construire sans savoir d’où l’on vient. Cette blessure initiale conditionn­e le reste de notre vie, jusqu’à notre façon de devenir parents. Nous avons tous droit à notre vérité ! *Site en cours de finalisati­on.

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