Maxi

TÉMOIGNAGE « Avec lui, j’ai enfin pu exprimer ma souffrance et me libérer »

Victime d’abus sexuels pendant son enfance, Sophie a longtemps refoulé ses souvenirs et étouffé son mal-être. Elle n’arrivait pas à trouver les mots, jusqu’à une rencontre salvatrice…

- Sophie

Aujourd’hui, quand on me demande comment ça va, je suis heureuse de dire que je vais bien. Même si mon histoire reste douloureus­e, je peux en parler. Parce que l’enfant en moi qui était blessée est maintenant guérie. Parce que j’ai rencontré la bonne personne, je ne suis plus muette. Je suis une femme libre. Enfin…

Longtemps, j’ai pensé avoir oublié cet homme

et ce qu’il m’avait fait. J’avais 6 ans quand il a commencé à abuser de moi. Il m’a violée pendant trois ans. Des années plus tard, j’ai retrouvé des mots d’enfant dans mon journal intime. « Je ne veux plus aller chez P., mais je n’ose pas le dire à papa et maman », avais-je écrit alors. C’était le compagnon de la dame qui me gardait et mes parents ne se sont doutés de rien. J’ai tout oublié jusqu’à mes 16 ans, j’ai essayé de me confier à ma mère, en vain. Tout était confus et trop difficile à dire. Je voulais oublier et j’ai presque réussi. C’est lorsque j’ai rencontré mon premier copain, à 21 ans, que tout a commencé à revenir à la surface, sans que je comprenne vraiment ce qui se passait. J’ai vécu une véritable descente aux enfers. J’ai vu une psychologu­e pendant trois ans, mais rien n’a vraiment changé. Sur ses conseils, j’ai décidé de porter plainte auprès du procureur de la République. Cela ne m’a pas aidée : au bout d’un an, j’ai appris que ma plainte avait été classée sans suite. Le dossier était « trop ancien » pour eux. Pas pour moi. Les années ont passé et j’ai sombré davantage. Pratiqueme­nt du jour au lendemain, sans que je comprenne comment c’était arrivé, je ne me suis plus sentie capable de sortir de chez moi. Douze ans après l’échec de ma première thérapie, il était urgent que j’affronte à nouveau cette histoire. J’ai eu de la chance, une connaissan­ce en qui j’avais confiance m’a recommandé un psychiatre, persuadée qu’il pourrait m’aider. Et elle avait raison.

Je n’oublierai jamais notre première rencontre, dans son cabinet. « Vous avez un très joli sourire... qui cache beaucoup de tristesse », a-t-il dit d’emblée. Il m’a tout de suite semblé bienveilla­nt. Mais serais‐je capable de faire confiance à cet homme que je ne connaissai­s pas ? C’était toute la question. Très vite, toutefois, il a vu juste. Avec lui, j’ai compris que je souffrais d’un véritable syndrome de stress post‐traumatiqu­e. Parmi les symptômes, il évoque alors un retour incessant des émotions du drame sous forme de flashes, d’images et de rêves : c’est toute ma vie qui est décrite dans ces quelques mots ! Avec lui, je peux commencer à nommer ce que j’ai. Mais « il va falloir vous décider à ouvrir la boîte noire », me dit‐il. Je sens mon estomac se nouer. Je sais bien que je ne l’ai pas encore ouverte, cette boîte noire. Nos échanges vont durer cinq ans. Quand je ne pouvais pas lui parler, je lui écrivais, il me répondait, ce qui est inhabituel, mais a été décisif. Avec lui, j’ai enfin pu exprimer ma souffrance et me libérer. Durant les quatre années qui ont suivi, j’ai revécu toutes ces épreuves, ressenti à nouveau dans ma chair toutes les agressions subies. J’étais épuisée, vidée de toute énergie. Un jour, j’ai fait un rêve dans lequel j’ai revu pour la première fois le visage de mon agresseur. Je marchais dans la rue devant l’immeuble où j’habitais lorsque j’étais petite et, soudain, je le voyais sortir. J’ai voulu alors me retrouver face à lui et l’affronter en face. Mais je vais aussi apprendre que cet homme est mort depuis de nombreuses années. Les larmes que j’ai versées sur le divan de mon psy m’ont‐elles nettoyée, purifiée ? Je ne sais pas. Le lendemain, je me suis sentie convalesce­nte. J’ai eu le sentiment de me réveiller d’un très long cauchemar, le corps meurtri, en voie de guérison.

Je suis quelqu’un qui a finalement retrouvé sa route, la bonne !

Mon agresseur ne me fera plus de mal. Il ne sera pas jugé pour ce qu’il a fait, mais grâce à la rencontre avec ce thérapeute et notre travail, je vais le laisser derrière moi. Qui suis-je

désormais ? Une femme qui a traversé bien des choses dans la vie et les a dépassées. Si je pense à la petite fille que j’étais, je la reconnais. Je suis bavarde, j’aime toujours chanter, je ris beaucoup et je suis toujours une tête de mule ! Je suis la version adulte de la petite fille que j’étais. Pas comme s’il ne lui était rien arrivé à l’âge de 6 ans : plutôt comme quelqu’un qui s’est perdu en chemin et qui a finalement retrouvé sa route. Il y a eu un gros accident sur mon parcours de vie, mais cela n’a pas changé ce que j’étais profondéme­nt. Ce chemin a été douloureux mais tellement libérateur que j’ai voulu en faire un livre* à quatre mains. Je voulais témoigner de mon parcours, mon psy, qui avait déménagé, s’est servi de l’écriture pour finir la thérapie. Je voulais aussi que quelque chose de positif et de citoyen sorte de cette histoire et serve à d’autres. Même si je ne me résume pas à un statut de victime, je suis heureuse de pouvoir échanger avec d’autres et d’aider, à mon modeste niveau, à ce que la parole se libère. J’ai reçu des témoignage­s bouleversa­nts car ce sont malheureus­ement des histoires plus courantes qu’on ne l’imagine. Les adultes que nous sommes doivent parfois se réconcilie­r avec l’enfant qu’ils ont été. Et le prendre par la main vers un avenir plus serein et heureux.

* La Thérapie de la dernière chance, de Sophie Tran Van et Emmanuel Goldenberg (éd. Odile Jacob).

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Emmanuel Goldenberg, son psychothér­apeute

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