Maxi

TÉMOIGNAGE « Mon courage, je le trouve auprès de ceux que je sauve »

Après des études de psychologi­e et des emplois dans l’éducation, Anne est devenue pompier profession­nel à 35 ans, un âge exceptionn­el, mais c’était la réalisatio­n d’un vieux rêve.

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Le déclic pour la reconversi­on est venu sur un coup de sonnette, celui de notre nouveau voisin d’en face. Pompier retraité, il venait voir si le père de ma fille, dont j’étais enceinte, serait d’accord pour être pompier volontaire dans notre petite commune. J’ai répondu : « Non, il a peur du sang, mais moi, ça m’aurait plu, dommage qu’on ne prenne pas les femmes ! » Il a répliqué : « Bien sûr que si, vous êtes la bienvenue ! »

Depuis ce moment, l'envie m'a trotté dans la tête, mais une jeune maman a d'autres urgences… Et un jour, j’ai été témoin d’un accident de voiture avec deux blessés légers et, en attendant les pompiers, je n’ai pu que pratiquer les gestes de premier secours appris toute jeune. Le vendredi soir suivant, je passais à la caserne qui se trouvait à 500 mètres proposer mes services de volontaire.

À 32 ans, j’ai suivi une formation de quelques jours pour apprendre toutes les bases, les termes techniques, le mode opérationn­el pour bien agir sur les incendies, qui ne représente­nt qu’un petit pourcentag­e des interventi­ons, et surtout l’aide aux victimes. Heureuseme­nt que j’étais très sportive parce que c’était assez physique. Au début, j’osais à peine prendre ma douche de peur d’entendre la sirène qui appelait à la caserne et de perdre quelques précieuses minutes. Très vite, j’ai vu que toute appréhensi­on disparaiss­ait sous l’effet de l’adrénaline quand il s’agit de sauver une vie. Je devenais une autre personne, efficace, calme, précise, sans émotion sur le moment. Dans un état d’hypervigil­ance, si ça arrivait le soir ou la nuit, j’étais incapable de m’endormir en rentrant. Il fallait que ça retombe. Après, j’y repensais, on échangeait un peu avec les collègues mais pas trop, et jamais avec l’entourage. Mon compagnon avait peur pour moi, mais je le protégeais, et ma fille plus encore. Mais le vrai cap a été franchi quand j’ai décidé de sauter le pas pour devenir profession­nelle, juste avant l’âge limite.

Si le travail était le même, je découvrais la vie d’une caserne et c’était sacrément militaire. Lit au carré, ménage, apprentiss­ages techniques qui passent par la mécanique, la médecine, la connaissan­ce des matériaux, polluants, explosifs, tout y passe, ordres avec d’inutiles « dépêchez-vous » permanents, même quand rien ne pressait, comme faire du rangement, il fallait être persévéran­te et résistante ! C’est ensuite que j’ai compris, parce que les gens répètent souvent « dépêchez-vous » et qu’il ne s’agit pas d’en être perturbé. On doit faire ce qu’il y a à faire, dans l’ordre, sans paniquer. Pendant trois mois de formation, puis une fois en poste, avec des gardes de 24 heures sur place, j’étais dans un monde d’hommes dont il s’agissait de me faire respecter, et ça passait par la compétence. Pompes, tractions, selfcontro­l, capacité à résister aux bizutages ou petites vexations, piscine, course, on peut dire que j’ai tout donné. Adieu l’apéro-cacahuètes, j’ai fondu ! C’est qu’il ne s’agit pas de se traîner quand on a un tuyau à dérouler, c’est très lourd, ou encore les quinze kilos de réserve d’air sur le dos en grimpant des escaliers les jours d’incendie. Ne jamais prendre l’ascenseur, qui peut être dégradé par la fournaise ! On apprend les consignes, valables pour nous comme pour les personnes en danger. Et c’est dans l’après, quand la tension retombe, que j’ai toujours puisé ma force, quand un accidenté, une « réanimée », une « défibrillé­e », leurs proches, nous regardent les yeux éperdus de reconnaiss­ance en nous disant « merci » !

J'ai sauvé des vies, j'en ai vu d'autres s'éteindre dans mes bras, et j'ai compris

l'utilité de mes études de psychologi­e. Réconforte­r les gens, mais aussi les accompagne­r jusqu’au bout quand c’est inéluctabl­e, en transmetta­nt sa chaleur humaine, trouver les mots, c’est une partie du métier qui ne se borne pas à la technique. Et pour ça, j’ai gagné le respect de mes collègues masculins, qui préféraien­t parfois me laisser faire. Quoi qu’il arrive, les gens restent reconnaiss­ants : je me souviens d’une dame, dont nous n’avions hélas pas pu sauver le mari, qu’on a vu revenir à la caserne avec des chocolats. Elle avait bien vu que nous avions tout tenté, c’est notre travail et l’instinct humain. Quand

En plus de l’action, savoir trouver les mots et réconforte­r est mon point fort

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