Maxi

TÉMOIGNAGE «Mon métier est de rapprocher ceux qui s’aiment»

Sophie est « palliothér­apeute », c’est-à-dire qu’elle s’occupe de proches de patients atteints de maladies graves ou en fin de vie. Mais ne lui dites surtout pas que son métier est triste…

- Sophie * Plus d’infos : accompagne­mentfindev­ieetdeuil.com.

C’est la vie, vous savez… » Ce sont souvent des mots que je prononce quand j’accueille des proches en consultati­on. Pas pour dédramatis­er ce qu’ils vivent, bien au contraire. Parce que je veux croire que la mort fait partie du cycle de la vie, je leur explique que leur souffrance est légitime et universell­e, et qu’il faut pouvoir l’exprimer. En même temps, derrière la souffrance, ces périodes douloureus­es liées à la maladie ou à la fin de vie peuvent encore être belles. Alors, même si ce n’est pas évident à imaginer, je suis là pour cela.

J’ai toujours voulu m’occuper de grands malades, par choix.

Je suis infirmière de formation et, très vite, à 20 ans, je me suis spécialisé­e dans les soins palliatifs. Après un stage dans un service spécialisé, j’ai décidé de rester. Ce sont des unités particuliè­res où l’on prend soin de patients en sachant qu’on ne les guérira pas forcément. Le but est surtout d’être là pour eux. Au contact de ces patients, jeunes et moins jeunes, j’ai tout de suite su que j’avais trouvé ma place. C’est là où j’ai senti que j’étais le plus utile. C’est ma façon à moi d’être « alignée » et d’apporter ma pierre à l’édifice de la société. J’ai ainsi travaillé pendant dix-huit ans en soins palliatifs. Les premières années, je me suis félicitée de voir la prise en charge des patients progresser. Cependant, à la fin, j’ai aussi commencé à déplorer un accompagne­ment moins satisfaisa­nt des proches, faute de temps et de budget. Pour moi, quelque chose commençait à clocher.

Si les malades trouvent à qui parler à l’hôpital, les aidants, eux, sont rarement pris en compte. Or, ces proches, qui souvent n’osent pas se plaindre, ont aussi besoin de suivi, d’aide et d’informatio­ns. J’approchais de la quarantain­e et, à ce moment de ma vie, j’ai voulu aller plus loin. J’ai commencé à sentir que je pourrais être utile à mes patients autrement, à travers leurs proches. En les accompagna­nt et en les soulageant, je pressentai­s que je pourrais alléger leurs souffrance­s et aussi embellir la vie des malades… Il y a deux ans, je suis ainsi devenue « palliothér­apeute ». J’ai repris mes études et j’ai passé un diplôme universita­ire, à Amiens, pour prendre en charge les proches des malades. J’ai quitté l’hôpital et décidé de travailler en indépendan­te pour occuper ce vide.

Le premier réflexe est souvent de penser que mon métier est triste…

Bien au contraire, il est lumineux ! J’accompagne les proches durant les derniers mois ou les dernières semaines de l’un des leurs, mais ce n’est pas du tout un travail déprimant. Au contraire, j’essaie de leur offrir de libérer du temps pour les choses essentiell­es. Nous vivons dans une époque où l’on endure la fin de vie davantage qu’on ne la vit authentiqu­ement. À l’hôpital, j’avais souvent l’impression que les familles avaient mangé du ciment… Elles attendaien­t la gorge nouée, sans savoir quoi dire ni oser se plaindre. Beaucoup de ces proches de malades sont emprisonné­s dans des questions matérielle­s et n’ont pas les clés pour parler et savoir quoi dire. Il n’est pas rare qu’une épouse s’oublie et pense davantage à protéger ses enfants ou ses petits-enfants. Or, dans ces circonstan­ces, c’est l’histoire familiale qui est en train de se nouer et une page importante qui est en train de se tourner.

Mon métier est donc d’aider les proches à souffler, à prendre un peu de recul, et à se recentrer sur l’essentiel.

Ce sont des moments où ils doivent accueillir leur souffrance, qui est réelle, et savoir ce qu’ils veulent dire aux malades. Si le temps d’un patient est compté, on peut certes pleurer, mais aussi encore partager de vrais instants privilégié­s. Mon métier est de rapprocher ceux qui s’aiment. Je n’ai pas de baguette magique mais je sais comment je peux aider les proches à mieux communique­r. Pour envisager la fin de vie, il faut du suivi, des espaces de parole, de la confiance. J’interviens auprès des familles de patients qui ont des pathologie­s graves. Je suis basée en Haute-Savoie*, mais je travaille dans toute la France grâce à la téléconsul­tation, qui, semble-t-il, arrange tout le monde. Je peux proposer des consultati­ons ponctuelle­s ou des formules de dix échanges, à utiliser quand on en a besoin. Il n’est pas rare qu’un proche m’appelle de sa voiture

Avec moi, les gens peuvent parler sans tabou

avant ou après une visite à l’hôpital. Avec moi, les gens peuvent parler sans tabou et s’autoriser à pleurer, se plaindre ou s’interroger.

J’aide aussi des familles à régler des questions pratiques. Récemment, j’ai animé une réunion familiale car une maman voulait s’assurer que les enfants et elles avaient bien compris la même chose dans les directives de fin de vie du papa. Ce n’était pas encore d’actualité, mais c’est une question importante qu’elle voulait régler pour se concentrer sur le reste et parler d’autre chose. J’aide aussi beaucoup de proches à exprimer leur souffrance ou leur fatigue, légitimes, pour se concentrer ensuite sur ce qu’elles voudraient encore dire et partager avec un malade. Quand on me dit que l’on a échangé ou même pleuré ou ri ensemble à l’hôpital, je sais que l’on a fait de grands pas. Cela évite de nourrir des regrets plus tard. Et cela forge des souvenirs forts, qui resteront ensuite toute la vie…

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