Maman handicapée
Invalide, Thérèse a décidé d’adopter un enfant en Russie. Son parcours avec sa fille Olga, enfant traumatisée dans sa prime enfance, n’a pas été toujours facile, mais l’amour a vaincu les écueils.
« Ma fille et moi nous sommes adoptées l’une l’autre »
J’avais 43 ans quand j’ai décidé d’adopter un enfant. J’étais consciente des difficultés de mon projet. En plus de la quarantaine entamée, je cumulais d’autres problèmes et cela n’avait pas échappé à cette présidente d’association… « Adopter en fauteuil roulant et célibataire ? Vous n’avez aucune chance ! » m’avait-elle lancé. Je ne l’ai pas écoutée. Lorsque l’on vit l’adversité du handicap depuis plus de 20 ans, à cause d’un accident de la route qui vous a brisé votre rêve de devenir danseuse, on ne se laisse pas démoraliser pour si peu ! Je savais de quoi j’étais capable !
Après mon accident, je m’étais battue pour décrocher des médailles aux Jeux paralympiques. J’avais aussi réalisé des opérations humanitaires pour aider des enfants handicapés à vivre dignement, aidé des accidentés de la route à reprendre confiance en la vie. Cette femme n’avait pas d’emprise sur moi ! Ce jour-là, au téléphone, une avocate russe m’a expliqué chaleureusement qu’à Moscou une petite fille de 7 ans et demi à l’orphelinat pleurait sans cesse parce que personne ne voulait l’adopter ! Je n’ai pas hésité une minute. Olga était née au Tadjikistan, ex-pays de l’Union soviétique, alors en pleine guerre civile. Réfugiée à Moscou avec sa maman, la petite fille avait été signalée en danger par les services sociaux et finalement abandonnée à l’âge de 5 ans et demi. À mon arrivée à l’orphelinat, je n’avais qu’une crainte : qu’Olga me rejette à cause de mon fauteuil roulant ! Aussi, quelle émotion quand elle s’est jetée dans mes bras en m’appelant maman ! J’étais alors assise sur un canapé et je la revois s’emparer de mon fauteuil et jouer avec. Visiblement, mon handicap ne la dérangeait pas ! Elle me l’a encore prouvée quinze jours plus tard devant le juge russe, qui lui a demandé face à tout le jury si elle voulait vraiment partir en France avec moi. Olga a alors répondu à toute l’assemblée : « Da », sans hésiter une minute. J’ai réalisé à ce moment précis qu’Olga m’avait véritablement adoptée. En fait, chacune de nous avait besoin de l’autre !
En France, Olga s’est intégrée très rapidement. Elle a appris le français en moins de deux mois. Mes petits cours du soir ont vite payé et sa maîtresse d’école, que je rencontrais régulièrement, l’a soutenue dans son apprentissage. Par la suite, elle était toujours la première en classe ! Malgré tout, elle se disputait régulièrement avec ses camarades, parfois elle se bagarrait avec eux. Même les cours de judo qu’elle prenait ne suffisaient pas à canaliser cette violence intérieure. Quand j’interrogeais Olga sur les raisons de ces altercations, elle me répondait : « Elles m’ont traitée de Chinoise ! » Intérieurement, ma fille bouillait de colère. Pour moi, il ne faisait nul doute que cette rage trouvait son origine dans son passé. J’en ai d’ailleurs très rapidement eu la preuve. Un soir, alors que nous regardions une émission télévisée sur l’enfance, Olga a éclaté en sanglots : « C’était à moi de m’occuper de maman, m’a-t-elle dit… Je n’aurais pas dû la quitter, même si elle buvait souvent et mettait de la vodka dans mon biberon ! » Interloquée, je lui ai expliqué que ce n’était pas aux enfants de prendre en charge leurs parents ! Mais bien l’inverse.
Olga a maintenant 28 ans, et elle se fraye un beau chemin dans la vie
C’était la première fois qu’Olga me confiait un peu de son passé ! J’ai alors perçu la profondeur de la détresse qu’elle s’efforçait de cacher et j’ai décidé de consulter un spécialiste. À l’époque, le psychologue m’avait rassurée. Pour le moment, les dessins de ma fille ne montraient aucun traumatisme. Mais il m’avait également mise en garde : tous les « je t’aime » que je dirai à Olga ne suffiraient jamais à combler les carences affectives de sa petite enfance ! Et il avait bien raison ! Olga s’est transformée en une adolescente ingérable. À environ 12 ans, elle a commencé à me voler de
l’argent, puis à m’insulter et ensuite à fuguer ! Aller la chercher sur les routes à deux heures du matin avec mon fauteuil roulant nous mettait en danger, elle et moi.
Nous pouvions passer de la complicité à des affrontements terribles !
Je ne savais jamais ce qui allait se passer ! En outre, Olga avait beau être dotée de capacités intellectuelles extraordinaires, régulièrement, je devais la changer d’établissement scolaire à cause de son indiscipline. J’avais beau consulter des spécialistes, je ne recevais aucune aide, si ce n’est des commentaires très culpabilisants.
Et puis, un jour, j’ai trouvé un livre sur l’adoption qui décrivait les terribles difficultés qu’affrontaient les parents adoptifs. Face au traumatisme d’abandon de ma fille, j’ai compris que je n’allais jamais m’en sortir seule : j’ai alors décidé d’envoyer Olga en internat. Cette solution nous a sauvées. Olga a ainsi réussi à faire ses études de langues étrangères puis de mode. Surtout, elle qui refusait de se confronter à son passé a fait, sur les conseils de ma soeur toujours très présente, un travail d’hypnose avec un médecin. En revivant certaines scènes de sa petite enfance, elle a finalement compris que si sa mère l’avait abandonnée, c’était pour lui donner une chance de vivre une vie meilleure. Olga a maintenant 28 ans, et c’est une jeune femme brillante qui se fraye un chemin dans la mode. Elle voudrait créer sa propre marque de vêtements. Et je sais qu’elle y parviendra ! Je suis tellement heureuse et fière aujourd’hui d’avoir participé à la construction d’un être qui comme tout à chacun, méritait le meilleur dans la vie ! Thérèse*.