La passion déferlante pour les faits divers
Nombreuses sont les grandes affaires, ayant fait la une des journaux, qui fascinent parfois au-delà du raisonnable. Pour quelles raisons ? Notre décryptage.
Daval et Dupont de Ligonnès, Maëlys et Laëtitia… Ces affaires effrayantes, aux incroyables rebondissements, ont fait plus d’une fois la une des journaux nationaux et attiré de nombreux curieux, comme d’ailleurs tous les faits divers. À la fois fascinants et horribles, ils suscitent l’intérêt du public, un intérêt sans cesse renouvelé.
De vrais phénomènes !
Faites entrer l’accusé, sur France 2, Enquêtes criminelles, sur W9, Crimes & Faits divers, sur NRJ12, Chroniques criminelles, sur TFX… Le nombre d’émissions de télévision qui retracent les grandes affaires criminelles témoigne de l’intérêt du public. « J’adore ces programmes, confie Delphine, 42 ans, secrétaire médicale. Les faits sont mis en scène, avec de la musique effrayante, du suspens, des détails… Je frissonne, je joue à me faire peur, tout en me sachant bien en sécurité à la maison ! »
Il faut dire que les journaux télévisés leur accordent une place toujours plus importante. C’est ce que constate la dernière étude en date de l’INA (Institut national de l’audiovisuel) : entre 2003 et 2013, le nombre de sujets sur les faits divers a augmenté de 73 %.
Sur Internet aussi, les faits divers sont très présents. Sur la plateforme Youtube, il existe de nombreuses chaînes lancées par des particuliers, comme la québécoise Victoria Charlton*, dont les vidéos mêlant enquête et hypothèses, ont été vues par 75 millions d’internautes !
Depuis peu, les séries se sont également emparées du sujet: Une affaire française, sur TF1, retrace l’affaire du petit Grégory, Laëtitia, sur France 2, dépeint ce que fut la vie de Laëtitia Perrais jusqu’à son meurtre, Un homme ordinaire, sur M6, redonne vie à Xavier Dupont de Ligonnès…
« Les faits divers ont toujours suscité la fascination du public », assure Julie Rigoulet, rédactrice en chef du Nouveau Détective, hebdomadaire spécialisé sur ce sujet. « La preuve, notre magazine existe depuis 1928. Si le lecteur est aussi friand de faits divers, c’est parce qu’il éprouve un mélange de fascination et de dégoût. Il aime se faire peur avec des histoires atroces, et paradoxalement, ça le rassure en se disant que plus, il connaît les détails d’un crime, moins cela pourra lui arriver. »
* Youtube.com/VictoriaCharlton.
Des affaires emblématiques d’une époque
Si les faits divers trouvent un tel écho auprès du grand public, c’est aussi qu’ils sont une sorte de reflet de notre société. « Certaines affaires marquent l’opinion car elles sont représentatives des valeurs ou des préoccupations de l’époque », analyse Lucie Jouvet-Legrand, maîtresse de conférences, spécialiste des phénomènes criminels. « Le meurtre du jeune Grégory a bouleversé l’opinion, car l’enfant a pris une place centrale et sacrée dans nos familles : un siècle auparavant, une petite victime n’aurait pas autant marqué les foules. »
« Mon fils avait presque le même âge que Grégory quand l’affaire a éclaté, se souvient Geneviève, 69 ans. Voilà pourquoi ce meurtre m’a bouleversée. Je me suis identifiée aux parents, à leur chagrin. » Il y a peu, les mutilations et meurtres de chevaux ont fait la une des journaux. « Le bien-être animal préoccupe les Français, rappelle Lucie Jouvet-Legrand. Il y a quelques années, l’impact n’aurait pas été aussi important. »
Plus que de simples crimes ou violences, les faits divers racontent la société et son évolution. « Ils révèlent l’envers du décor social, les injustices ou les abus de notre monde », reprend Julie Rigoulet. Et cela peut aboutir à une prise de conscience avec des législateurs qui peuvent être amenés à changer les lois. Cela a été le cas avec la mort de Marie Trintignant sous les coups de Bertrand Cantat, en 2003. « Ce meurtre a mis un coup de projecteur sur les violences faites aux femmes : quelques années plus tard, la loi a été modifiée pour être plus protectrice », indique Bob Garcia, chroniqueur et auteur d’Anatomie du fait divers (éd. Desclée de Brouwer, 2020). « Idem pour les suicides d’élèves victimes de harcèlement scolaire qui ont été médiatisés, ce qui a permis une réelle prise de conscience de ce problème. »
Le plaisir de jouer les enquêteurs
Si les faits divers nous fascinent autant aujourd’hui, c’est aussi qu’Internet a changé la donne. Lorsqu’un fait divers est révélé, les internautes peuvent en quelques clics chercher des photos des protagonistes, trouver les derniers détails de l’affaire en temps réel… Sur Facebook, certains passionnés se rassemblent sur des pages dédiées pour échanger des informations, débattre… « La page Facebook “Affaire Grégory Villemin, une énigme vers la vérité”, forte de plus de 13000 membres, est l’une des plus sérieuses parmi celles consacrées au mystère de la Vologne. Son administrateur, courtier en assurances, y consacre jusqu’à trois heures par jour! », révèle Julie Rigoulet. « Je m’y suis inscrite en 2017, quand Murielle Bolle a été placée en garde à vue, raconte Sylvie, agricultrice. Je voulais discuter avec d’autres passionnés : mon mari en avait marre que je lui en parle ! »
Sur les réseaux sociaux, les internautes jouent parfois les enquêteurs. « Sur l’enlèvement de la petite Maëlys, en août 2017, ils avaient une longueur d’avance, se souvient Julie Rigoulet. Ce sont des internautes qui ont retrouvé les vidéos postées par Nordhal Lelandais. Ils ont réussi à démasquer le pseudo de l’ancien militaire: “Tyron973”. » Une découverte qui a permis de mieux cerner la personnalité de l’accusé et de faire avancer l’enquête…
Autre nouveauté avec Internet, les férus de faits divers peuvent presque assister au procès grâce au fil Twitter de journalistes spécialisés en justice, qui racontent minute par minute ce qui se déroule dans le tribunal. De quoi ne rater aucun détail ni aucun rebondissement !