Maxi

TÉMOIGNAGE

« Je veux redonner de l’espoir aux parents »

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Cette année, je n’ai pas fait ma rentrée en classe de maternelle. Je n’ai pas pu. À la place, j’ai retrouvé des étudiants plus grands, j’ai créé une associatio­n et j’ai publié un livre* sur mon expérience. Quand j’ai passé le concours de professeur­e des écoles, des amis enseignant­s m’avaient prévenue que ce n’était peut-être pas pour moi. Non pas à cause de mes compétence­s, mais ils craignaien­t que je ne parvienne pas à « entrer dans le moule ». Et ils n’avaient pas tort…

Pourtant, j’ai toujours voulu travailler avec des enfants et transmettr­e. Je suis passée par plusieurs profession­s, toujours tournées vers l’éducation. Très jeune, j’ai fait de l’animation et donné des cours de théâtre. J’ai aussi été surveillan­te avant d’enseigner. Pendant plusieurs années, j’ai travaillé en lycée et en centre de formation profession­nel. Et à côté de cela, je suis aussi maman de quatre enfants. Passionnée et dynamique, je pensais que j’avais le bon « profil ». Après plusieurs années de remplaceme­nts dans l’enseigneme­nt, j’ai décidé de passer le concours de professeur des écoles pour devenir enseignant­e « pour de vrai ». Même si j’étais bien consciente de nombreuses contrainte­s, financière­s ou organisati­onnelles, à mon échelle, j’avais toujours pu prendre des initiative­s jusque-là. Mais en intégrant l’institutio­n, ce serait une tout autre histoire. Avant ma formation, j’ai ainsi eu l’occasion de visiter quelques classes pour « découvrir les coulisses du métier ». Je me souviens encore d’une petite fille, dans une classe de primaire, qui butait sur des mots. Plutôt que de l’encourager, le professeur soupirait. C’était glaçant. Pendant notre formation, je me suis vite aperçue qu’il n’y avait guère de place pour le concept de « différenci­ation ». Mais je gardais encore l’espoir de pouvoir m’impliquer auprès de chaque enfant.

Sur le terrain, j’ai rencontré des profession­nels formidable­s mais beaucoup d’autres, plus résignés. Chaque élève a le devoir de se conformer, de se borner aux normes de l’élève « normal », qui poursuit un cursus bien tracé. Il parlera à 3 ans, jouera avec ses camarades à 4 ans, saura lire à 6 ans, comprendra une leçon de science à 8 ans. Dans ma première classe, des maternelle­s, j’ai appris à connaître mes 29 élèves, tous plus surprenant­s les uns que les autres. En même temps, on m’a rapidement fait remarquer qu’il ne fallait pas mettre « trop d’affect » dans ma relation avec eux, car cela ne serait pas du goût de ma hiérarchie. En clair, moins on s’attache, mieux c’est ! Je rongeais mon frein. Avec moi, les enfants faisaient de l’anglais, du théâtre, des ombres chinoises, des ateliers autonomes. Je donnais des cours de français pendant la pause déjeuner à ceux qui en avaient besoin, j’essayais de trouver une manière innovante d’enseigner dans tous les domaines, je travaillai­s jusqu’à minuit, parfois jusqu’à 2 heures du matin pour me lever à 5 et prendre la route. Et je n’avais, en face de moi, que de l’indifféren­ce, voire des reproches. Je me souviens encore de la visite et des observatio­ns absurdes d’un inspecteur. « Vous faites de l’animation, du jeu », at-il grondé. Je devais faire semblant de respecter le code de l’institutio­n, remplir beaucoup de paperasse et, surtout, ne pas mettre en oeuvre la pédagogie bienveilla­nte que je souhaitais.

Il faut accueillir les différente­s personnali­tés des enfants

Finalement, j’ai démissionn­é. Mais je n’ai pas baissé les bras, car je veux lutter contre l’échec scolaire autrement. J’ai commencé un travail de recherche sur la prise en compte de la neurodiver­sité. Il y a tant de solutions à explorer! Je veux redonner de l’espoir aux parents : il n’y a pas d’échec, mais simplement des situations d’échec dues à l’environnem­ent. Tous les enfants ont une forme d’intelligen­ce et la capacité

d’apprendre à condition de s’adapter à leurs besoins. Prenez les « hyperactif­s » : de nombreuses études montrent que vingt minutes d’exercice améliorent la concentrat­ion, entraînent une réduction de la fatigue et une augmentati­on des performanc­es cognitives.

Former les enseignant­s aux rythmes biologique­s, mais aussi à la diversité, aux fragilités de certains élèves, devrait faire partie intégrante du projet d’une école humaniste, soucieuse de la réussite de tous. Les comporteme­nts que nous jugeons parfois étranges ou inappropri­és sont aussi l’expression d’un tempéramen­t, d’une personnali­té, que nous devons accueillir et non stigmatise­r. Il faut aussi cesser de culpabilis­er les familles. C’est la rigidité d’un système qui produit l’échec. Mais les parents ne doivent pas baisser les bras. Ceux qui demandent que l’on prenne en compte la particular­ité de leur enfant, des dispositif­s d’aide et de soutien, qui solliciten­t les enseignant­s sont dans leur bon droit. Ils ont raison de soutenir la scolarité de leur enfant. Le rôle de l’école est d’accueillir et d’encourager tous les enfants dans leur développem­ent. Pour cela, je continuera­i de me battre… Juliette

* L’échec scolaire n’existe pas !, de Juliette Speranza (éd. Albin Michel).

Les faits cités et les opinions exprimées sont les témoignage­s recueillis dans le cadre d’enquêtes effectuées pour réaliser ce reportage. Rapportés par Maxi, ils n’engagent que les témoins eux-mêmes.

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