Maxi

TÉMOIGNAGE « Je voulais mettre mes compétence­s au service des autres »

Cette brillante ingénieure avait un avenir tout tracé dans de grandes entreprise­s, mais sa rencontre avec la précarité a changé sa vie.

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Ma dernière maraude n’est jamais très loin… J’en ai encore fait une la semaine dernière. Depuis que je suis arrivée à Paris, j’ai arrêté de les compter ! Ceux qui trouveront cette occupation tristounet­te n’ont jamais essayé. Bien sûr, il y a des moments durs où l’on côtoie la grande pauvreté et la détresse humaine, mais le plus souvent, ces échanges sont d’une richesse incroyable. Il y a même des rencontres joviales. Et ces moments sont précieux, car ils ont fait de moi ce que je suis.

J’ai grandi dans une petite ville des Vosges où la pauvreté existait déjà. Cependant, en milieu rural, elle m’avait semblé moins criante. Je crois que la solidarité est plus naturelle à la campagne et que la précarité se voit moins. Même si on a peu de moyens, on s’entraide. J’ai grandi, là-bas, avec ces valeurs. Elles m’ont été inculquées à la maison aussi. Quand on est issue d’une famille de cinq enfants, c’est obligé: on apprend vite à partager ! J’ai aussi hérité de mes parents une certaine déterminat­ion. Très tôt, petite, j’ai dit que je voulais devenir « inventrice ». Plus tard, j’ai voulu être ingénieure : j’aimais l’idée d’identifier un problème et de trouver une solution, sans encore imaginer les questions auxquelles je serais confrontée. En fait, c’est la vie qui a décidé pour moi. Quand je suis arrivée à Paris, j’ai été bouleversé­e par la pauvreté qu’il y avait dans cette ville. J’ai été choquée de voir des hommes, des femmes et des enfants dormir par terre, dans les rues. J’étais aussi désolée de constater que les passants semblaient s’y habituer. J’ai commencé à faire des maraudes avec mon école. Puis, j’ai rejoint des associatio­ns un peu plus structurée­s comme « La Roue Tourne » et « Dans Ma Rue ». Une fois par semaine, je sortais avec eux dans Paris. Derrière l’image du SDF, on imagine souvent le cliché de l’homme de 50 ans, alcoolique et asocial. C’est faux. Très vite, j’ai découvert une précarité beaucoup plus diverse touchant aussi des femmes, des enfants, des travailleu­rs ou des personnes en situation d’exil. J’ai été bouleversé­e par ces échanges et la volonté de la plupart de s’en sortir. Il fallait que je trouve un moyen de les aider. Dans la rue, pourtant, il m’est arrivé de ne pas pouvoir répondre à certaines questions. Parfois, j’ai même donné à des sans-abri des adresses de structures inadaptées ou qui avaient fermé. Cela m’irritait profondéme­nt, car je voulais aussi créer un lien de confiance en partageant au moins des informatio­ns justes. Au début, j’ai donc commencé à compiler une première liste de sites avec des informatio­ns fiables sur comment trouver une douche, un accueil de jour ou une distributi­on alimentair­e. C’est vital d’être juste et précis quand tout un parcours de réinsertio­n est en jeu. Au fil des maraudes, j’avais aussi remarqué que quasiment tous les sansabri avaient un smartphone. Dans la rue, ce n’est pas un luxe, car c’est un outil indispensa­ble pour s’en sortir aujourd’hui. J’ai alors eu l’idée d’utiliser mes connaissan­ces et mon parcours d’ingénieur pour développer Soliguide*, un vrai guide de la solidarité numérique avec un site Internet et une

applicatio­n mobile dédiés.

Je suis fière d’avoir créé une applicatio­n fiable, utile et solidaire

J’ai commencé sur mon temps libre avant de prolonger mon idée en ambitieux projet de fin d’études. En effet, j’ai vite compris que ce n’était pas qu’une affaire technique : j’avais besoin de ressources financière­s et humaines derrière moi. J’ai mis toutes les ressources de l’école au service de mon projet et, peu à peu, j’ai commencé à imaginer une nouvelle vie profession­nelle possible. Pourquoi entrer dans un grand groupe quand on peut changer le quotidien des autres, en bas de chez soi ? À une époque où l’on parle davantage d’économie solidaire et d’entreprise­s utiles, j’ai compris que je pouvais trouver ma voie… Je n’oublierai jamais la première fois où j’ai – bien – orienté quelqu’un avec Soliguide. C’était pour trouver une distributi­on

alimentair­e encore ouverte. Quand on m’a dit que cela fonctionna­it bien, j’ai été tellement fière ! Depuis, l’offre s’est élargie : nous recensons aujourd’hui plus de cinquante catégories, qui vont de la permanence juridique à des cours de français, en passant par des listes de bornes Wi-Fi publiques. Nous avons enregistré 91000 connexions en 2019, mais les chiffres ont explosé depuis avec la pandémie et le confinemen­t. Je me suis sentie rarement plus utile… Je ne suis plus seule non plus, car je suis entourée d’une équipe d’une vingtaine de personnes aussi motivées que moi. Nous avons été aidés par Entreprend­re et Plus, un réseau d’entreprene­urs sociaux, et nous sommes maintenant financés par les collectivi­tés locales et des dons de particulie­rs.

Grâce à cela, nous avons pu créer un autre service, « Merci pour l’invit’ »**, plus particuliè­rement dédié aux femmes seules. Sur ce site, des particulie­rs s’inscrivent et proposent des formes d’hébergemen­t solidaire entre 15 jours et plusieurs mois pour permettre à des femmes, victimes de violences ou en grande précarité, de se poser et de se retourner. Nous avons commencé à Bordeaux et à Paris, déjà assuré plus de 2500 nuitées, et ce n’est pas fini! Aujourd’hui, dans notre équipe, chacun est dédié à une région ou à un sujet. Il y a tant à faire… Mais ensemble, tout est possible ! Victoria

* Rens. : soliguide.fr. ** Rens. : mercipourl­invit.fr.

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