Maxi

Elle a repris le studio photo de son père ‘‘Chez nous, tout est une histoire de famille’’

Après plusieurs années passées à parcourir le monde, Maccha est revenue en France et a très vite décidé de redonner vie au travail de son père et à l’endroit où elle a grandi.

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Mon père n’a jamais jeté les photograph­ies qu’il a prises quand il travaillai­t ! Il a eu raison ! Sans ce trésor que nous avons retrouvé ensemble des années plus tard, je n’aurais jamais pu faire revivre cet endroit que j’aime tant : la maison où je suis née, où j’ai vécu mon enfance et mon adolescenc­e, comme mon père avant moi, car c’est son propre père, mon grand-père, qui l’a construite.

Ce dernier est arrivé en France à la fin des années 1910, seul rescapé de sa famille du génocide arménien. À l’orphelinat où il a grandi, on lui a appris un métier manuel : la photograph­ie. À l’époque, il fallait maîtriser l’éclairage, la technique de développem­ent et, comme peu de gens pouvaient s’offrir un appareil, il était certain de trouver une clientèle. Pendant plusieurs années, mon grand-père a photograph­ié la vie des habitants de cette banlieue modeste : ils l’employaien­t pour garder des souvenirs des fêtes religieuse­s, des mariages, pour faire des portraits de famille, des papiers d’identité… Mon grand-père ne faisait pas de différence entre son studio, son laboratoir­e, où il développai­t ses travaux, sa boutique et sa maison : il avait acheté un terrain à Montreuil, près de Paris, sur lequel il avait fait construire sa maison. Il vivait à l’étage avec ma grand-mère et mon père, né à la fin des années 1930. Au rez-de-chaussée, il y avait son lieu de travail. En ce temps-là, c’était assez habituel pour les artisans et les commerçant­s. Mon père a suivi la même voie.

Il a commencé à pratiquer dans les années 1960 : il photograph­iait les gens au marché, dans la rue ou au studio, et il se rendait aussi à la sortie des concerts pour photograph­ier les chanteurs de l’époque. C’est là qu’il a très vite rencontré un journalist­e qui lui a proposé de travailler avec lui. Pendant une décennie, tous deux ont suivi de nombreuses stars de l’époque : Johnny Hallyday, Sylvie Vartan, les Beatles, Claude François, les Rolling Stones, Serge Gainsbourg… Il les photograph­iait dans leurs loges, au restaurant… Mon père a fait des milliers de photos : s’il en a vendu beaucoup à des magazines, il en avait tant qu’il les a toutes mises au grenier quand il a décidé d’arrêter, car il en avait assez de courir après les célébrités.

Toutefois, il a continué son activité en photograph­iant les gens qui venaient au studio. Ma mère travaillai­t avec lui. Quand mes soeurs et moi avions du temps libre, comme mon père ne voulais pas que nous « traînions » dehors, nous étions à ses côtés et nous le regardions travailler. À force, nous avons tout appris de son métier : combien de temps laisser un tirage dans un bain de développem­ent pour obtenir tel ou tel effet, comment positionne­r les lumières pour donner tel éclairage à la photo… Il n’y avait pas de séparation entre le travail de mes parents et notre vie de famille. Je me souviens que, quand ma mère était « au premier » dans la cuisine, pour préparer à manger ou faire la vaisselle et que la sonnerie du studio nous indiquait qu’une personne venait d’entrer, elle nous envoyait à la boutique servir le client. Parfois, j’accompagna­is ma mère à des événements – mariages, fêtes… – pour lui servir d’assistante.

Je suis partie de chez mes parents à 26 ans, en 1998, pour voyager. J’ai travaillé de nombreuses années à l’étranger, notamment en Haïti, où j’ai rencontré des gens formidable­s. J’ai eu mes deux filles, mes parents ont pris leur retraite et je suis rentrée en France en 2010. Il y a cinq ans, la ville de Montreuil, qui propose aux artistes de la ville d’ouvrir les portes de leur atelier une fois par an, a contacté mon père pour qu’il permette aux gens de visiter son studio. Cela faisait quinze ans qu’il n’avait plus aucune activité. On ne parvenait même plus à ouvrir la porte du studio photo tellement elle était rouillée ! Finalement, Nelta, ma fille aînée, a aidé son grand-père à remettre l’atelier en état et a sélectionn­é certaines photos à exposer. J’ai donné un coup de main et le jour des Portes ouvertes, de nombreuses

Je suis émue d’avoir fait revivre le studio fondé par mon grandpère

* Auteur de l’ouvrage : Le Génération­nel (éd. Dunod) et, dernièreme­nt, de L’Analyste sous influence (éd. Dunod). personnes sont venues : certaines avaient connu le studio en activité, d’autres se souvenaien­t de mes parents… Cela m’a beaucoup émue de voir renaître ce lieu.

Les années suivantes, ma fille, mon père et moi avons de nouveau participé à ces Portes ouvertes : au fur et à mesure, nous avons retapé le labo, le studio, la boutique… exhumé les photos prises par mon père. La préparatio­n de ces Portes ouvertes nous a procuré beaucoup de plaisir : on discutait de ce que l’on allait exposer, de la façon dont on allait mettre en valeur les photos… Peu à peu, j’ai compris que j’avais envie de travailler ainsi, en famille, et que je voulais faire revivre ce lieu. En 2019, j’ai donc quitté mon travail dans un cabinet d’architecte et je me suis lancée : j’ai fait des demandes de subvention­s, j’ai retroussé mes manches pour remettre en état la chambre noire et, à la sortie du premier confinemen­t, j’ai fait une exposition avec les photos de mon père et j’ai proposé à une associatio­n de donner des cours de photos en argentique. J’ai également rouvert complèteme­nt le studio : il y a encore des gens qui poussent la porte pour faire des portraits, avoir des retouches photos… D’ici quelques années, j’espère pouvoir développer un coin café et faire venir des chanteurs pour qu’ils se produisent en concerts, des artistes pour qu’ils exposent… Notre projet est vraiment que ce studio devienne un laboratoir­e d’art pour la promotion d’artistes émergents et issus des migrations. En attendant, je suis très heureuse d’avoir fait renaître cet endroit ! Maccha Rens. sur rogerkaspa­rian.com.

Les faits cités et les opinions exprimées sont les témoignage­s recueillis dans le cadre d’enquêtes effectuées pour réaliser ce reportage. Rapportés par Maxi, ils n’engagent que les témoins eux-mêmes.

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Alberto Eiguer, psychiatre psychanaly­ste, écrivain*

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