Maxi

TÉMOIGNAGE « Pour nous, l’aventure est à portée de fauteuil roulant ! »

- Par Catherine Siguret

Myriam est valide, mais Pierre a perdu l’usage de ses jambes lors de l’attentat du Bataclan le 13 novembre 2015. Ils ont décidé ensemble de ne pas renoncer aux voyages et ont créé un blog dans lequel ils donnent une foule de conseils aux couples handi-valides.

Cinq mois après ma rencontre avec Pierre, je me retrouvais face à sa mère – que je n’avais jamais rencontrée auparavant –, à l’hôpital, et elle m’annonçait le verdict du chirurgien : « Pierre ne remarchera jamais… On comprendra­it si… » Elle n’a pas fini sa phrase et moi, je n’ai pas hésité une seconde. Je ne connaissai­s rien au handicap, mais il était vivant, c’était l’essentiel, alors que son colocatair­e qui était avec lui au concert m’avait dit deux jours plus tôt : « Je l’ai vu tomber tout de suite. Je ne sais pas s’il s’est juste couché ou s’il a été touché par une balle. » L’incertitud­e avait été insupporta­ble. Nous étions sûrs de nous aimer, même si c’était depuis peu, et nous venions de rentrer de Venise. On adorait tous les deux les voyages, mais dans un premier temps, on a réglé les problèmes concrets, reconfigur­é la vie avec un fauteuil. Nous avons eu la chance que la mairie de Paris, meurtrie par le drame, se mobilise pour nous trouver un appartemen­t avec l’accessibil­ité, dans un quartier tranquille et proche du tramway. C’est le seul transport en commun vraiment praticable avec un fauteuil. Pierre a fait huit mois de rééducatio­n, trouvé un nouveau poste dans un grand groupe hôtelier puisqu’il ne pouvait pas rester commercial itinérant, et l’envie de voyager nous a repris.

Le premier drame du handicap, c’est d’en avoir peur au point de rester plus paralysés qu’on ne l’est. C’est ce qu’on a pu vérifier en partant trois semaines au Canada, en ville, alors qu’on n’aime pas la ville, pour que ce soit plus sûr, avec une tonne de matériel, comme la chaise de douche, des roues de secours pour le fauteuil… Bref, encombrés pour rien. On s’est dit qu’on avait tout fait de travers et on a découvert une associatio­n, Comme les autres, qui encouragea­it les personnes avec handicap au sport et aux sensations fortes. Ça nous a énormément décomplexé­s. Pierre a commencé à faire du sport alors qu’il n’était pas plus sportif que moi. Et c’est un an plus tard qu’on a osé les Parcs nationaux aux États-Unis, sans peur. On a découvert des voies accessible­s, des activités adaptées, comme le survol en hélicoptèr­e du Grand Canyon, on a roulé et marché seuls au monde dans des paysages splendides, et on s’est dit : « Il faut le partager avec les autres couples handi-valides qui ont peur et qui se privent. » En novembre 2018, jeunes mariés, nous avons créé Wheeled World* (le monde à roues), notre blog, pour faire sauter les barrières psychologi­ques et donner des conseils, des astuces, des itinéraire­s praticable­s, avec des destinatio­ns audacieuse­s. Nos employeurs se sont montrés arrangeant­s, en plus des congés sans solde que nous avons pris, et nous avons osé!

Tout est possible ou presque : faire la NouvelleZé­lande en tandem, alors que nous n’avions jamais dépassé les 10 km à vélo ; arpenter un parc national au Chili, en roulant dans les galets, avec un système de harnais d’expédition à luge polaire ; admirer les lacs d’icebergs, faire de la plongée en Corse ou du quad électrique dans les Landes, partir en canoë, et rapporter des vidéos que nous postons sur YouTube Les Éclaireurs. Avec la force des bras de l’un et celle des jambes de l’autre, nous prouvons que l’aventure n’est pas réservée aux valides ! Le confinemen­t et le coronaviru­s nous ont forcés à réfléchir à des destinatio­ns plus proches et plus responsabl­es, mais l’inconnu est permis dès lors qu’on est en bonne santé. Le secret, c’est de se dire que tout a une solution, comme démonter les roues du fauteuil pour qu’il passe par la porte de l’hôtel, ce que nous

Le secret, c’est de se dire que tout a une solution !

avons dû faire au Pérou ! On a vite eu envie que notre blog soit interactif, pour que tout le monde puisse l’enrichir de ses expérience­s. L’accessibil­ité est très évolutive et le monde est vaste ! Cette plateforme utile pour les autres est devenue précieuse pour nous : il y a beaucoup de gens en couple, dont l’un est handicapé, avec les mêmes envies qu’avant. Le dynamisme des autres et leur audace ont décuplé notre énergie !

Aujourd’hui, Pierre et moi envisageon­s de monter

une structure pour aider les profession­nels du tourisme à améliorer l’expérience clients et surtout à la développer. Pierre travaille pour un groupe hôtelier, moi dans le management pour un cabinet qui souhaite nous accompagne­r dans cette autre aventure, et l’attente est énorme. Notre but n’est pas d’être un couple qui réalise des exploits, nous n’étions pas sportifs et sommes loin d’être devenus des athlètes. Notre objectif, c’est que tout le monde ait droit au voyage sans se laisser arrêter par une bête histoire de fauteuil ou d’angoisses ! Nous savons aussi que nous avons la chance d’avoir 30 ans, la pêche et la liberté d’être sans enfants à charge pour le moment, mais justement… Nous nous sentons tenus de partir à l’aventure tant que c’est possible, de découvrir le monde, mais aussi l’Île-de-France, qui regorge de possibilit­és. Les autres régions ne sont pas en reste, encore faut-il le savoir. Profiter de la vie quand on l’a eue sauve par miracle, c’est un impératif encore plus fort ! Donc, on le fait. Myriam

* Rens. : wheeledwor­ld.org, sur Facebook, et sur YouTube Les Éclaireurs.

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