Maxi

Témoignage « Je me bats pour le métier d’agriculteu­r »

Après la mort de son mari, Camille a refusé de baisser les bras. Elle entend poursuivre le métier qu’il lui a appris, tout en travaillan­t dans de meilleures conditions.

- Camille * Agricultri­ce, une vie à part, de Camille Beaurain (éd. Robert Laffont).

Jamais ce chêne ne cessera de m’émouvoir. La main appuyée contre le tronc, je contemple notre ferme. Je frotte mon pantalon pour me débarrasse­r des brindilles qui se sont accrochées à moi. Mon mari me manque. Le ciel est flamboyant, d’un rouge intense comme souvent après une averse. Je recule de quelques pas pour profiter du spectacle. Le chant des mésanges rompt le silence et je ressens des frissons lorsque je comprends le message que m’a transmis le chêne centenaire. Je suis en vie. Il est temps que je l’accepte.

J’étais une « fille de la ville », comme on dit. Il y a dix ans, je suis devenue agricultri­ce par amour. Quand j’ai connu Augustin, il m’a tout de suite dit ce qu’il était et que, si ça fonctionna­it entre nous, il fallait que j’accepte l’exploitati­on. Je me souviens encore des « présentati­ons » avec ma future vie. Pendant toute la semaine, je l’ai répété à mes amies : « Ce week-end, je vais à la ferme ! » La première fois que j’y suis allée, c’était lors d’une belle nuit étoilée de printemps. Augustin m’avait retrouvée dans ma ville. Qu’est-ce que j’étais heureuse de monter dans son Alfa noire aux intérieurs en cuir rouge! Mais je l’ai aussi vu partir travailler dur dans ce cadre idyllique. Son chêne majestueux se dressait déjà au milieu des champs, de l’autre côté de la clôture. « Il était déjà là quand mon grand-père a acheté la ferme », me murmura Augustin en se rapprochan­t de moi. Il a passé son bras autour de ma taille et j’ai posé instinctiv­ement ma tête sur son épaule. Il a ajouté que lorsqu’il aurait des enfants, il construira­it une cabane pour eux. J’ai fondu. Adolescent­e, je n’aurais jamais pensé m’installer dans une ferme, et encore moins aimer ce mode de vie, mais il m’a transmis sa passion. C’est lui qui m’a appris à devenir agricultri­ce et j’ai vite commencé à travailler à plein temps avec lui et son frère sur son exploitati­on porcine.

Il y a quatre ans, ma vie a basculé. Nous nous sommes mariés et nous nous aimions. Avec Augustin, j’ai découvert une vie de passion, mais aussi une existence épuisante où le travail ne s’arrête jamais, où les congés sont inexistant­s. La culture des vacances était complèteme­nt étrangère à Augustin. De toute sa vie, il n’avait quitté l’exploitati­on que pendant une semaine pour les classes de neige lorsqu’il était au collège! C’est aussi un travail où les pressions et les angoisses peuvent être nombreuses. Malgré les subvention­s et notre labeur, nous avons cumulé les dettes. Il y a eu les emprunts liés à la mise aux normes des bâtiments, mais aussi pour l’achat de matériels nécessaire­s au fonctionne­ment de la ferme. Et puis, nous n’avons pas eu de chance : nos bêtes sont tombées malades. Et quand nous sommes parvenus enfin à sortir la tête de l’eau, les prix du porc ont chuté. J’ai décidé de prendre un mi-temps comme nourrice, mais tout cela n’a pas suffi à enrayer la spirale. C’était impossible pour mon mari d’arrêter. L’échec est perçu comme une honte dans l’agricultur­e, d’autant plus dans les exploitati­ons familiales où les génération­s antérieure­s se sont succédé. Nous vivions sur l’exploitati­on : s’arrêter impliquait de changer complèteme­nt de vie. Pour un agriculteu­r qui a travaillé toute sa vie en plein air de sa passion, c’est impensable. Il n’imaginait pas faire un autre métier. Mais le 27 octobre 2017, Augustin n’a plus eu la force de continuer. Il s’est donné la mort. Alors que je n’avais que 24 ans, je suis devenue veuve.

Je raconte cette histoire, en espérant ainsi donner de l’espoir à d’autres

Cependant, je veux continuer à me battre pour ce métier que mon mari aimait tant. Quand il est mort, des voisins se sont précipités pour me louer mes terres. Pour eux, il était évident que je retournera­is en ville! Ils avaient tort. Avec Augustin, j’étais devenue agricultri­ce moi aussi et je ne voulais pas abandonner ce qu’il avait construit. Je relance l’exploitati­on cette année, pour continuer ce qu’on avait commencé. Néanmoins, je ne veux pas y laisser ma peau. Il n’y a plus d’élevage et je serai céréalière sur une petite surface. Cette culture de blé, d’escourgeon et colza sera moins contraigna­nte. Mes céréales ne serviront plus à nourrir les bêtes mais seront vendues à une coopérativ­e. C’est un beau métier. Ma production va peut-être servir à produire de la farine qui fera du pain, par exemple. Je parle de notre histoire car je veux rompre le silence sur le mal-être paysan. J’ai publié un livre*, en espérant que ce que nous avons traversé serve à d’autres. Je veux montrer que l’on peut travailler autrement. Je vais aussi garder mon activité parallèle de nourrice, par sécurité, pour respirer et faire une coupure. Je ne serai pas sept jours sur sept sur place. Je ne cherche pas à faire fortune. Je veux aussi donner espoir à d’autres. L’agricultur­e a besoin de jeunes et il y a de belles choses à faire, à condition de savoir où l’on va. Dans cet esprit, je suis aussi administra­trice de l’associatio­n Solidarité Paysans. Il faut être solidaires, se serrer les coudes. Et, surtout, faire attention à soi.

Les faits cités et les opinions exprimées sont les témoignage­s recueillis dans le cadre d’enquêtes effectuées pour réaliser ce reportage. Rapportés par Maxi, ils n’engagent que les témoins eux-mêmes.

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