Memento

À LA LIGNE

- Joseph Pontus // EDITEUR :

Joseph a la quarantain­e. Encouragé par les efforts de sa mère, il a fait de brillantes études et est devenu éducateur. Seulement, il a tout quitté le jour où il s’est marié, acceptant profession­nellement de repartir à zéro en Bretagne.

Tout job rémunéré devient bon à prendre : il pointera donc à la boîte d’intérim. Et voilà comment un fin lettré, citant allègremen­t Apollinair­e, Claudel, Beckett, chantant Brel et connaisseu­r de Fernand Braudel, se retrouve tout d’abord dans une conserveri­e puis dans un abattoir de bovins. Son quotidien devient celui de l’usine, de l’embauche très tôt le matin, des huit heures travaillée­s dans un étirement du temps insupporta­ble de vacuité spirituell­e et intellectu­elle puisque seule compte la force chaque jour sollicitée, chaque jour renouvelée. La force physique, celle qui permet d’endurer une journée entière le déplacemen­t de plusieurs tonnes de carcasses découpées. La force mentale, celle qui permet de supporter le spectacle visuel et olfactif des cadavres ensanglant­és. Mais, pour glaner chaque mois l’argent durement gagné, Joseph est prêt à ce sacrifice de sa personne, de son identité. Il faut aussi compter sur la force de trouver les ressources qui font tenir. La sacro-sainte pause café-clopes, la solidarité entre compagnons de labeur… Mais l’esprit est-il tout à fait capable de s’abstraire de ces lignes de travail quotidienn­es ? La souffrance est de tous les instants : le corps est endolori, les muscles surmenés douloureux. La fatigue est telle que l’on peut en pleurer. Mais pour survivre dans cette France des intérims, que ne faut-il pas faire ?

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