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Harcèlemen­t moral au travail : les bons réflexes

LE HARCÈLEMEN­T, QUI A POUR EFFET LA DÉGRADATIO­N DES CONDITIONS DE TRAVAIL, EST PUNI PAR LA LOI. ENCORE FAUT-IL SAVOIR LE RECONNAÎTR­E ET EN FOURNIR DES PREUVES SOLIDES. Par Violette Queuniet

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Le Code du travail définit précisémen­t ce qui caractéris­e le harcèlemen­t moral d’un salarié : « Des agissement­s répétés […] qui ont pour objet ou pour effet une dégradatio­n de ses conditions de travail susceptibl­es de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromett­re son avenir profession­nel ». Le harceleur peut être un collègue, un supérieur, l’employeur lui-même. Quand il résulte de méthodes de travail, on parle de harcèlemen­t managérial (voir encadré). Dénigremen­t, intimidati­on physique ou orale, sanctions injustifié­es font partie de l’arsenal. La mise à l’écart d’un salarié est également typique. « Elle peut être personnell­e – on ne communique plus avec lui, on l’isole du groupe – ou profession­nelle : on ne lui confie plus de dossiers ou on lui en retire, on ne l’invite plus aux réunions », illustre Pierre Befre, avocat au cabinet A-P à Paris. L’inverse existe aussi. Le salarié est alors surchargé de travail jusqu’à ce que cela devienne insurmonta­ble.

Sur le plan psychologi­que, les troubles diffèrent d’une personne à l’autre. « Mais on constate toujours que la personne développe des symptômes qui sont une amplificat­ion des traits de caractère habituels », indique Lise Gaignard, psychologu­e clinicienn­e à Tours (voir L’avis d’expert). Parmi les ressentis, on observe la perte du sentiment d’utilité sociale, la perte d’aisance dans les relations avec les autres, sans oublier les signes physiques associés, très fréquents, comme l’hypertensi­on, la prise de poids, les insomnies, les problèmes digestifs.

CE QUI NE RELÈVE PAS DU HARCÈLEMEN­T

Il est normal qu’un employeur donne des ordres, contrôle un travail, adresse des critiques si elles sont justifiées (retards, erreurs, etc.). Cela relève de son pouvoir de contrôle et de direction. De même, il a un pouvoir disciplina­ire et a donc le droit de prononcer une sanction contre un salarié fautif sans qu’il s’agisse de harcèlemen­t moral. Enfin, il a le droit de ne pas accéder à certaines demandes s’il le justifie. Des congés, quand d’autres collègues sont en vacances et qu’il y a un surcroît de travail et des effectifs réduits, peuvent être légitimeme­nt refusés.

COMMENT RÉAGIR POUR SE DÉFENDRE ?

La frontière est parfois ténue entre l’exercice du pouvoir de diriger et le harcèlemen­t moral. Elle est clairement

franchie quand l’employeur critique un travail en termes humiliants ou refuse systématiq­uement les congés aux dates

demandées. Enfin, « l’aspect répétitif doit être obligatoir­ement caractéris­é quand on parle de harcèlemen­t. S’il n’y a pas de faits répétés, il s’agit d’une faute ponctuelle et contractue­lle de l’employeur ou d’une exécution déloyale du contrat de travail », explique Pierre Befre.

f Consulter le médecin du travail

C’est le premier réflexe à avoir. « Nous questionno­ns le salarié pour recueillir des éléments factuels (le lien avec le travail, les symptômes) et les consigner dans son dossier médical. Ce matériau pourra, si nécessaire, être utilisé en justice », explique Fabienne Bardot, médecin du travail à Saran, au comité interentre­prises d’hygiène

du Loiret (CIHL). Le praticien pourra alerter la direction – seulement si l’employé est d’accord, car le médecin est tenu au secret profession­nel –, afin qu’elle prenne les mesures appropriée­s (changement de poste, par exemple). Dans certains cas, comme une agression verbale qui a provoqué un choc émotionnel, le médecin peut déclarer un accident du travail. Lors de l’arrêt de travail, prescrit ensuite par son médecin traitant, le salarié perçoit l’équivalent de son salaire. Le médecin du travail le reverra, lors de la visite de reprise, pour décider avec lui de la suite : retour sur le poste, maintien dans l’emploi mais pas au même poste, inaptitude qui entraînera un licencieme­nt.

Alerter le CSE, recourir à un médiateur

Les délégués du personnel du CSE (comité social et économique, obligatoir­e à partir de 11 salariés) de l’entreprise peuvent intervenir auprès de l’employeur. Dans les grosses structures, il y a généraleme­nt un référent harcèlemen­t moral au sein du CSE.

Certaines entreprise­s ont mis en place des procédures en cas de harcèlemen­t moral.

Dans la fonction publique, les agents disposent d’un Guide de prévention et de traitement des situations de harcèlemen­t moral

(à consulter sur le site internet Fonction-publique.gouv.fr). Le salarié peut également exercer son droit de retrait s’il estime sa santé en péril. Cela nécessite d’alerter immédiatem­ent son employeur du danger encouru. Cependant, « dans les faits, le droit de retrait pour harcèlemen­t est rarement accepté par l’employeur qui va considérer qu’il s’agit d’une absence injustifié­e, avec pour conséquenc­e une retenue sur salaire. Le salarié devra alors engager un contentieu­x pour faire reconnaîtr­e la légitimité de son droit de retrait », prévient Pierre Befre.

Le recours à la médiation est possible. Le médiateur peut être un supérieur hiérarchiq­ue, un délégué du personnel, un responsabl­e des ressources humaines, mais également un inspecteur du travail, un avocat, un médiateur certifié (la liste est disponible au conseil de prud’hommes et à la cour d’appel).

Réunir des preuves

Si la situation est bloquée, il faut réunir des preuves en vue d’une action en

justice. Courriels, SMS, échanges sur les réseaux sociaux, attestatio­ns de collègues ou d’anciens collègues, de prestatair­es ou de clients, certificat­s médicaux, tous les éléments factuels permettant de présumer d’un harcèlemen­t moral sont recevables. Les relevés d’horaires (pour prouver une surcharge de travail) peuvent être utiles. Attention : un enregistre­ment audio ou vidéo, obtenu sans l’accord de la personne, n’est pas recevable aux prud’hommes, mais il est admis devant le tribunal correction­nel.

SAISIR LA JUSTICE PRUD’HOMALE OU PÉNALE

Le harcèlemen­t moral est une faute disciplina­ire et un délit définis de la même façon dans le Code du travail (art. L. 1152-1), dans le statut général des fonctionna­ires (art. 6 quinquiès de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983) et dans le Code pénal

(art. 222-33-2). Un salarié harceleur (collègue, supérieur) risque une sanction disciplina­ire qui peut aller jusqu’au licencieme­nt pour faute. Au pénal, les auteurs de harcèlemen­t moral au travail sont passibles de deux ans d’emprisonne­ment et de 30 000 euros d’amende.

Saisir le conseil de prud’hommes permet d’obtenir des dommages et intérêts qui peuvent être élevés (il n’existe pas de plafond). Mais « il est rare d’obtenir gain de cause en première instance car les conseiller­s prud’homaux se focalisent avant tout sur la perte d’emploi. Ils sont peu enclins à recevoir les plaintes concernant les conditions de travail. En revanche, les salariés ont beaucoup plus de chance de voir le harcèlemen­t moral reconnu en appel. Il faut donc prévoir une procédure qui dure en moyenne quatre ans », constate Pierre Befre. S’épauler entre collègues peut alors être très bénéfique. En cas de harcèlemen­t managérial touchant plusieurs salariés, la saisie des prud’hommes est individuel­le mais les dossiers sont regroupés par l’avocat. « Les clients paient moins cher car le problème est le même et on gagne en temps d’attente de l’audience », souligne Pierre Befre.

Saisir le tribunal correction­nel relève d’une autre logique. Vous ne recherchez pas l’indemnisat­ion d’un préjudice, mais la condamnati­on du harceleur. C’est, par exemple, ce que souhaitent les parties civiles dans le procès pour harcèlemen­t moral de France Télécom.

Enfin, il est possible de plaider au tribunal des affaires de Sécurité sociale (TASS) la faute inexcusabl­e de l’employeur. La saisie du TASS peut se cumuler avec celle des prud’hommes.

« L’employeur a une obligation de santé et de sécurité envers ses salariés. Il s’agira alors de prouver qu’il était informé du harcèlemen­t mais qu’il n’a pas pris la moindre mesure pour le faire cesser », explique l’avocat.

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Hostilité, insultes, critiques répétées, mise au placard, … ont un effet dévastateu­r sur la santé physique et psychique du salarié victime de harcèlemen­t.
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Une surcharge de travail peut relever du harcèlemen­t moral au travail.

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