Interview de Samuel Leré, de la fondation Nicolas Hulot :
« L’action individuelle est importante »
Dossier familial : Quelle est l’influence réelle des comportements individuels sur la préservation de l’environnement ?
Samuel Leré : L’objectif de l’accord de Paris pour le climat de 2016, c’est de rester bien en dessous de + 2 °C de réchauffement climatique global.
Les citoyens peuvent contribuer à hauteur de 20 % dans l’atteinte de cet objectif. Notamment en mangeant moins de viande, mais de meilleure qualité, c’est-à-dire bien souvent de la viande française et nourrie à l’herbe, pour le boeuf. Ce pouvoir peut aller jusqu’à 40 % de l’effort nécessaire si le citoyen investit, par exemple, dans l’isolation de sa maison. L’action individuelle est donc importante. Mais elle n’est évidemment pas suffisante si l’état, les collectivités et les entreprises ne contribuent pas de leur côté.
Nos actes ne sont-ils pas orientés en grande partie par les choix industriels et politiques ?
S. L. : En effet, quand l’industrie automobile fait le choix de dépenser 3 milliards d’euros de publicité par an pour assurer le succès commercial des SUV, elle soutient une consommation croissante de pétrole pour le véhicule particulier. Pour autant, le citoyen peut s’orienter vers une voiture plus petite. Et l’état a pour mission de développer d’autres options. Surtout quand on sait que 50 % des déplacements en voiture font moins de 3 kilomètres ! On peut décider d’augmenter la part du vélo et de la marche. Au Danemark, grâce aux investissements de l’état (pistes, sécurité, etc.), 20 % des déplacements se font à vélo… alors qu’il y fait froid ! En France également, ça bouge dans certaines villes, comme Paris, Strasbourg ou Grenoble.
Comment réconcilier pouvoir d’achat et action écologique ?
S. L. : Il faut bien comprendre que les questions sociale et écologique sont les deux faces d’une même pièce. On ne résoudra pas l’une sans traiter l’autre. L’état doit investir dans un grand plan de rénovation des logements et forcer les propriétaires de passoires énergétiques à faire les travaux nécessaires. Ce sera une grosse source d’économies pour les locataires. Par ailleurs, si on décide de se déplacer à vélo, le gain est immédiat, par rapport à la voiture.
Pour l’alimentation, s’approvisionner en bio par circuit court plutôt qu’en supermarché est gagnant pour le consommateur et le paysan. Rappelons aussi que les légumineuses (lentilles, pois, etc.) sont très bon marché et que leurs racines ont le pouvoir de capter l’azote, un gaz au pouvoir de réchauffement plus important que le CO2 !
Nous avons aussi beaucoup de marges d’économies dans le faire soi-même: produits ménagers, produits cosmétiques, cuisine... L’achat de seconde main est une autre très bonne piste, l’habillement représentant 2 % des gaz à effet de serre mondiaux.
Selon vous, le gouvernement tient-il son rôle pour encourager une consommation plus écologique ?
S. L. : Pour le moment, l’état n’est manifestement pas à la hauteur du défi. Il doit accompagner les comportements vertueux. Un gros levier écologique, en négociation actuellement, est la prochaine politique agricole commune européenne. Il faut réformer les critères de subvention pour soutenir l’agroécologie et les filières dont nous avons besoin, comme celle des protéines végétales. Aujourd’hui, nous nourrissons nos animaux d’élevage avec du soja OGM brésilien, dont la culture est à l’origine de la déforestation de l’amazonie. L’état doit aussi interdire les produits nocifs pour l’environnement, comme c’est en cours pour les plastiques à usage unique. Le recyclage ne suffit pas, il ne fait baisser que de 5 à 10 % l’impact carbone d’une bouteille en plastique. C’est pourquoi nous défendons la consigne pour le réemploi de ces contenants.
La prime à la conversion des véhicules est-elle utile écologiquement ?
S. L. : Ce dispositif est nécessaire pour transformer le parc automobile, puisque le secteur des transports est le premier émetteur de gaz à effet de serre en France. Mais il faudrait augmenter la prime et cibler davantage les classes moyennes qui ont le plus besoin d’être accompagnées dans la transition. Surtout, il faudrait faire en sorte que cet argent puisse être utilisé pour autre chose que l’achat d’une voiture, même électrique. Sur son cycle de vie, la voiture électrique produit moins de gaz à effet de serre qu’une voiture diesel ou à essence (NDLR : selon l’étude comparative menée par la FNH en décembre 2017). C’est mieux pour la qualité de l’air et indispensable pour sortir des énergies fossiles, à l’horizon 2050. Mais la priorité est d’avoir moins de voitures. Il faudrait commencer par ne plus en avoir deux ou trois par foyer. Beaucoup de Français vont chercher leur pain en voiture, alors qu’ils pourraient y aller à pied ou à vélo…