« Le fonds euros n’est pas mort »
Pour Cyrille Chartier-kastler, fondateur du site Good Value for Money, les assureurs cherchent à freiner la collecte sur le fonds euros faute d’opportunités d’investissement suffisamment attractives. Au risque de transférer le risque vers l’épargnant et son conseiller.
Pourquoi certains assureurs ont-ils décidé de restreindre l’accès au fonds en euros ?
On invoque souvent le contexte de taux bas, mais ce n’est pas une nouveauté puisqu’ils le sont déjà depuis plusieurs années. C’est en 2015 que L’OAT 10 ans est passé de 2,25 à 0,75%. Le sujet n’est pas là. Le fond du problème réside dans la difficulté qu’éprouvent les gérants des actifs des fonds euros à investir les flux de collecte à un moment où toutes les classes d’actifs sont devenues chères.
C’est-à-dire ?
Les marchés actions sont confrontés au ralentissement économique ; et pour de nombreux économistes, le risque de récession n’a jamais été aussi important depuis 2008. La perspective est celle d’une révision à la baisse des distributions de dividendes. Les prix de l’immobilier sont très hauts, les SCPI (sociétés civiles en placement immobilier, NDLR) ont d’ailleurs du mal à investir leur collecte. Les valorisations des sociétés cibles dans le Private equity (capital-investissement, NDLR) ne cessent de croître, signe d’une bulle dans le non coté. Dans ces conditions, les gérants des fonds euros demandent à leurs compagnies de juguler une collecte dont ils ne savent plus quoi faire.
Quelle traduction dans la composition des fonds euros ?
Les poches investies en monétaire sont en train de gonfler, jusqu’à 3 à 5% des actifs chez certaines compagnies. Jugeant les marchés trop hauts pour investir, ces gérants font le choix de placements à rendement négatif de 0,5 à 0,7% par an le temps que de meilleures opportunités de marché se présentent, plutôt que d’investir avec un risque accru de moins-value.
Faut-il craindre une chute des rendements ?
La France et l’europe sont entrées dans un scénario à la japonaise où les taux vont rester durablement bas. Mais je ne crois pas à la mort du fonds en euros. Les assureurs vont continuer à alimenter leur provision pour participation aux excédents (une réserve qui permet de lisser les rendements dans le temps et d'offrir une rémunération relativement stable, NDLR) qui atteignait déjà 4% des encours, soit environ 52 milliards d’euros, fin 2018. Cela leur permet de disposer d’un matelas suffisant pour diversifier leurs actifs malgré leurs contraintes de solvabilité. Grâce à cette diversification, les compagnies vont réussir à maintenir un rendement qui va continuer à baisser mais qui ne sera pas nul.
À quel atterrissage s’attendre pour 2019 ?
Nous devrions assister à une baisse conséquente avec un taux moyen servi de l’ordre de 1,40% - contre 1,67% en 2018 - pour une prévision d’inflation de 1,2%. Net de frais de gestion et de prélèvements sociaux, le rendement réel du fonds euros sera négatif. Il faut avoir en tête que le fonds en euros rapportera durablement moins que l’inflation.
Dans le même temps, l’épargnant est incité à investir en unités de compte (UC)…
Ce qui revient à reporter le problème des choix d’investissements sur le client final et son distributeur. Or pour ces derniers, investir en ce moment n’est pas plus simple que pour le gérant d’un fonds euros. Il me parait difficile de vendre des UC à des clients qui n’en veulent pas. Et l’obligation d’y consacrer 20 à 30% de ses versements n’est pas forcément compatible avec le devoir de conseil. C’est un discours pas vraiment simple à faire passer après avoir décidé d’augmenter les taux servis sur le fonds euros, comme certains bancassureurs l’ont fait en 2018. Rappelons que la profession a globalement fait le choix de ne pas baisser les taux servis en 2018. Un an plus tard, elle tient un discours alarmiste. Comprenne qui pourra.
Quelle solution serait la plus juste ?
L’application de frais à l’entrée sur le fonds euros n’est pas dénuée de sens. C’est un moyen de signifier au client que c’est une denrée rare et qu’il faut payer pour en avoir. La bonne restriction me semble être celle qui n’est pas érigée en dogme : il me semble plus raisonnable qu’un assureur se fixe un objectif de pourcentage moyen de collecte en unités de compte et que ce budget soit alloué en fonction du profil et de la durée d’investissement des clients, au lieu d’imposer à tous d’investir une part de ses versements en UC. Les clients sont en plus ou moins en bonne santé, leur âge est plus ou moins avancé, on ne peut pas décider à leur place. Si le fonds euros correspond objectivement à leur situation et à leur besoin, je ne vois pas pourquoi on leur en priverait l’accès. Sauf à ne plus exercer de devoir de conseil.