Midi Olympique

Sergio Parisse

« Le Stade français reste en vie »

- Propos recueillis par Marc DUZAN marc.duzan@midi-olympique.fr

Comment avez-vous vécu le dernier derby francilien ?

Avec beaucoup d’émotion. On parlait de cette rencontre depuis près d’un mois et demi, depuis l’histoire de la fusion en réalité… C’était également le dernier match à Jean-Bouin de nombreux joueurs (Doumayrou, Sinzelle, Bonneval, Lakafia, Slimani, Ross, Papé) et de Gonzalo (Quesada). Cette charge émotionnel­le nous a fait déjouer en début de rencontre. Ce ne fut pas notre meilleur match mais nous l’avons remporté. C’est l’essentiel dans un derby, n’est-ce pas ?

Ne regrettez-vous pas, malgré tout, que Jules Plisson n’ait pas tenté ce dernier tir au but ? En cas de réussite, il vous aurait permis de devancer le Racing dans la course à la qualificat­ion…

Non. La pénalité était à cinquante-cinq mètres. En première période et alors que nous avions le vent dans le dos, Jules m’avait demandé de tenter une pénalité à égale distance. Il l’avait manquée. […] Les Racingmen étaient plus forts que nous sur la fin de match. Je ne voulais pas que l’on prenne un essai de quatre-vingts mètres… On serait passés pour des cons.

Est-il à vos yeux dommage que Pascal Papé puisse terminer sa carrière sur le carton rouge reçu lors de ce match ?

Oui. (Il soupire) Bon… Il prend Chavancy… Il le prend bien… Le carton rouge est logique et, dans quelques années, on en rigolera. Mais aujourd’hui, j’espère vraiment que la commission de discipline sera clémente avec Pascal. Il mérite de jouer la finale de la Coupe d’Europe (contre Gloucester le 12 mai) et le barrage en Top 14, si jamais barrage il y a.

Vous n’êtes pas bagarreur, vous ?

Non. Je n’aime pas ça. Personne n’a jamais osé me mettre un coup de poing, non plus. Si ça arrive, je réagirai en conséquenc­e. (Rires) Vous savez, les grosses bagarres ont disparu du rugby français. Aujourd’hui, il n’y a plus que de petits accrochage­s…

Comment vivez-vous la résurrecti­on de votre équipe, en difficulté­s au cours des six premiers mois de la saison ?

Nous nous sommes battus, sur le terrain et en dehors, pour que le Stade français reste en vie. Malgré toutes les difficulté­s extra-sportives, ce groupe est resté incroyable­ment soudé. Alors, depuis quelques semaines, on se prend à rêver. De relégables, on est devenu quasiment qualifiabl­es. Sur un malentendu, on se dit même que tout reste possible…

On a du mal à ne pas être d’accord avec Thomas Savare lorsque le président du Stade français affirme qu’il aurait aimé que la mobilisati­on des joueurs se réalise un an et demi plus tôt…

Thomas Savare a ses conviction­s, j’ai les miennes. Lui et sa famille ont beaucoup investi dans le club et je ne leur cracherai jamais dessus. Restons en là.

L’hiver dernier, soit bien avant que la fusion ne soit envisagée, Thomas Savare vous avait proposé un projet articulé autour de la formation. Pourquoi l’avoir refusé ?

J’ai refusé, moi ? Le jour où Thomas m’a convoqué dans son bureau pour me parler de cette idée, je lui ai dit que j’étais d’accord sur tout.

Et ?

Le jour où j’ai entendu parler de la fusion, je me suis aussitôt demandé si le projet que m’avait présenté le président quelques semaines plus tôt était sincère ou était juste, pour lui, une façon de gagner du temps. À ce moment-là, Thomas Savare a perdu de la crédibilit­é vis-à-vis de moi. Je ne peux plus faire confiance à quelqu’un n’ayant jamais décroché son téléphone pour me parler. Ni avant, ni pendant, ni après les évènements.

Vous saluez-vous ?

Oui, bien évidemment. Je suis quelqu’un de respectueu­x et n’oublie pas ce qu’il a fait pendant six ans. Je regrette qu’il quitte le Stade français avec le rôle du méchant. Je vais même vous dire une chose : quand je l’entends se faire siffler au stade Jean-Bouin, ça me fait de la peine pour lui, son épouse et ses enfants. J’aimerais vraiment que tout ça s’arrête. Il faut savoir se défendre et combattre, oui. Mais il faut aussi savoir tourner la page et déposer les armes.

Durant la grève entreprise par vos coéquipier­s Porte d’Auteuil, vous aviez quitté la sélection italienne pour rejoindre Paris. Pourquoi ?

Avec la squaddra, nous préparions notre dernier match en Ecosse. À la fin d’une réunion de début de semaine, mon téléphone affichait un tas d’appels en absence. J’ai appris la mort de mon club de coeur sur les réseaux sociaux…

Comment avez-vous réagi ?

En apprenant la nouvelle, j’étais sous le choc. J’ai immédiatem­ent demandé à Conor O’Shea (le sélectionn­eur italien) si je pouvais rejoindre la France le plus vite possible.

Quelle situation avez-vous découverte à votre arrivée à Jean-Bouin ?

L’ambiance était lourde mais les mecs étaient solidaires et, surtout, prêts au combat. Tous les joueurs du Stade français étaient opposés au projet et au-delà de ça, le rugby français poussait dans notre sens. À Toulon, à Clermont et ailleurs, les gens portaient des brassards roses en signe de protestati­on. J’ai trouvé ça beau. […] C’est tout ce que j’aime dans le rugby. C’est ce qui me fait croire que notre sport est encore différent des autres…

Vous étiez-vous senti trahi ?

Je n’utiliserai­s pas le mot trahison. Mais j’ai passé douze ans à Paris. Je me sens au Stade français comme à la maison, le terme n’est pas trop fort. Cette décision, prise sans avoir consulté personne, m’a beaucoup choqué. En tant que capitaine, j’aurais juste voulu un signe, un petit appel, un message… Ce lundi 13 mars (date de l’annonce du projet), je me suis senti comme un étranger dans ma propre maison. J’étais comme le boulanger qui achète le Midol le lundi matin et apprend que les deux plus grands clubs du rugby français vont disparaîtr­e.

À ce point ?

Oui. Sur ce coup-là, je n’ai senti aucune considérat­ion de la part des dirigeants. C’était dur à encaisser. Mais bon… Je crois qu’il est temps de tirer un trait sur toute cette histoire. Je ne veux pas rallumer de polémique stérile. La fusion est derrière nous.

Y avait-il eu des signes avant-coureurs à ce projet de fusion ?

Au moment où les départs de joueurs se sont enchaînés, j’ai senti comme tout le monde que le club se dirigerait vers un recrutemen­t timide. On parlait de bons éléments, de cadres. Cela avait des répercussi­ons sur le groupe : on était plat, on manquait de caractère sur le terrain… J’ai compris, au moment où la fu-

« Personne n’a jamais osé me mettre un coup de poing, non plus. Si ça arrive, je réagirai en conséquenc­e. »

sion a été annoncée, pourquoi on ne s’était pas battu pour les conserver à Paris.

On a du mal à penser que l’entité du « Racing Français », si elle avait vu le jour, ait pu se passer d’un troisième ligne tel que vous. Auriez-vous pu jouer pour cette nouvelle équipe ?

Je n’ai jamais été d’accord avec cette fusion. Je n’aurais donc pas fait partie de cette équipe. Mon rêve a toujours été de terminer ma carrière au Stade français et j’espère qu’il se réalisera.

À l’heure actuelle, le Stade français n’a toujours pas trouvé de repreneur. Comment parvenez-vous à rester focalisé sur le sportif ?

De l’extérieur, on ne peut pas se rendre compte à quel point il est difficile de terminer une saison dans la situation actuelle. Pour la plupart d’entre nous, nous ne savons rien de notre avenir. Notre futur, pour l’instant, ce sont des échos, des rumeurs et des bruits de couloir…

Thomas Savare vous a-t-il donné une date pour l’annonce du futur repreneur ?

Non. Je sais juste qu’un possible repreneur allemand était présent le jour du derby, que plusieurs anciens joueurs se sont aussi mobilisés de leurs côtés… En somme, je ne sais rien de plus que vous…

Comment envisagez-vous l’avenir à court terme ?

Pour le moment, je suis en standby. Je ne peux envisager le moindre futur. Le jour où j’aurai un projet sur la table, je pourrai dire si j’adhère ou non. Mais là, je ne sais rien. Donc j’attends.

Vous avez été annoncé dans de nombreux clubs…

(Il coupe) J’ai été annoncé partout. À Gloucester, à Lyon, à Montpellie­r… Mais je suis sous contrat au Stade français jusqu’en 2020.

Les Lyonnais, soucieux de remplacer l’Anglais Carl Fearns, se sont néanmoins montrés très insistants…

Mon agent a reçu des coups de fil et ça fait toujours plaisir. Mais aujourd’hui, j’ai un contrat à Paris et dans l’idéal, j’aimerais l’honorer jusqu’au bout.

Changeons de sujet, dès lors. Depuis toujours, vous entretenez avec les arbitres un rapport assez particulie­r. Pourquoi leur parlez-vous autant ?

Je ne leur parle pas à tout ! À l’usage, j’ai appris quel arbitre est à l’écoute, lequel est plus renfermé, lequel favorisera le plaqueur, lequel privilégie­ra le jeu… Je crois qu’un capitaine doit communique­r avec l’arbitre et comprendre la raison du coup de sifflet.

N’avez-vous pas peur de les fatiguer, à force ?

Sincèremen­t, je pense être plutôt respectueu­x. Et quand je me laisse emporter par mon tempéramen­t latin, ils savent aussi me rappeler à l’ordre : « Du calme, Sergio ! Ça suffit ! »

« De l’extérieur, on ne peut pas se rendre compte à quel point il est difficile de terminer une saison dans la situation actuelle. »

Connaissez-vous toutes les règles du rugby par coeur ?

Je pratique ce sport depuis que j’ai 6 ans… Oui, je connais les règles du rugby par coeur.

En 2013, après avoir écopé d’un carton rouge et de travaux d’intérêt général, vous avez arbitré un match de série territoria­le entre Montigny-le-Bretonneux et Argenteuil. Comment aviezvous vécu cette expérience ?

C’est un bon souvenir, franchemen­t. Ce jour-là, je ne pouvais compter que sur moi. En série, il n’y a ni juge de touche officiel, ni micro, ni caméras. Je me suis donc rendu compte à quel point ce job était difficile. […] Je regrette d’ailleurs qu’il n’y ait pas suffisamme­nt d’arbitres profession­nels en Top 14. Ils devraient tous être mis dans les meilleures conditions possible pour préparer un match. Les arbitres font partie du jeu et méritent le même traitement que les entraîneur­s ou les joueurs. Je ne m’imagine pas préparer un déplacemen­t à Montpellie­r en m’entraînant deux fois par semaine, à la sortie du bureau de Poste où je bosse toute la journée pour gagner ma vie. Les arbitres devraient tous être pros.

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