Midi Olympique

« Je ne cherche pas à me vendre »

L’HOMME FORT DES CLERMONTOI­S AVAIT ACCEPTÉ LE JEU DU LONG ENTRETIEN. PAROLE TENUE, LE WEEK-END DERNIER, ALORS QUE SON ÉQUIPE VALIDAIT SON BILLET POUR LA DEMI-FINALE DE TOP 14. PERSONNAGE ENTIER, SIMPLE ET TOUJOURS FRANC, LE TECHNICIEN SE CONFIE AVANT LA F

- Propos recueillis par Léo FAURE leo.faure@midi-olympique.fr

L’homme fort des Clermontoi­s avait accepté, depuis plusieurs semaines, le jeu du long entretien. Parole tenue, le weekend dernier, alors que son équipe validait son billet pour la demi-finale de Top 14. Le directeur du rugby de l’ASMCA avait donné rendez-vous à la terrasse d’un petit café de Chamalière­s, dans la banlieue clermontoi­se. Prêt à évoquer tous les sujets du moment, à commencer par la finale de la Champions Cup qui se profilait déjà. Personnage entier, simple et toujours franc, Azéma assume ses choix. Et l’image que cela donne de lui.

Êtes-vous un entraîneur superstiti­eux ?

Je ne l’étais pas quand j’étais joueur et je ne le suis pas devenu en passant entraîneur. Je n’ai pas besoin d’avoir les mêmes chaussette­s dans le sac, telles chaussures et tel slip le jour du match. Je me dis que c’est une bonne chose, parce que certains deviennent dépendants de ces détails.

Si on vous dit que Clermont est la dernière équipe à avoir battu les Saracens en Coupe d’Europe (2014-2015), ça ne vous touche donc pas ?

Non. Je n’y avais même pas réfléchi. On les a rencontrés souvent. Ils nous ont souvent secoués. Nous, on ne les a pas secoués tant que ça…

Tout de même : vous les avez éliminés en 2012 et 2015. Vous les avez aussi dominés en poule lors de cette même saison 2014-2015…

(Il hésite) On a fait quelques bons matchs, O.-K. Mais je ne fais pas trop confiance à ces logiques de dire « On les a déjà battus, donc on va le refaire ». Les Saracens sont archi-favoris et nous serons outsidersp­our la première fois. On verra comment on réagira. Peut-être qu’on en prendra trente, comme tout le monde le dit. Peut-être qu’on va surprendre.

Avez-vous revu la demi-finale de 2015 ?

Oui bien sûr, comme les autres fois où nous les avons rencontrés ces dernières années. Ceci dans une approche tactique. Les Saracens sont sur un rugby assez régulier, qui leur a permis de gagner des titres, et ils lui restent assez fidèles. Leur effectif n’a pas beaucoup évolué non plus. C’est donc intéressan­t de revoir ces matchs.

Que scrutez-vous ?

Ce qui les avait embêtés, à l’époque, et comment ils s’y sont adaptés depuis. En gros : « Nous avions fait ça, ça avait bien marché ». Ensuite, je regarde si ça peut toujours fonctionne­r ou s’ils ont évolué.

En quoi, alors, ont-ils évolué ?

Justement, ils n’ont pas tellement changé. Ils sont construits sur un rugby pragmatiqu­e, statistiqu­e. Ils sont en recherche constante d’efficacité et c’est assez redoutable. Parce que la croyance en leur projet de jeu est extrêmemen­t forte. Leur adhésion est totale. C’est ce qui rend leur projet efficace.

On perçoit un projet de destructio­n, les concernant, quand vous avez choisi un projet de constructi­on...

C’est la base de leur jeu. Ils s’appuient sur leurs forces, la puissance énorme dont ils disposent dans toutes les lignes. Leur philosophi­e, c’est pousser l’adversaire à la faute. De l’amener dans ses retranchem­ents jusqu’à le faire craquer. Mais il ne faut pas les réduire à cela. Ce rugby leur ouvre aussi des possibilit­és de contres. Quand une opportunit­é se présente, ils bondissent dessus. Ils jouent alors très vite et très bien.

En 2015, comment vous les aviez-vous battus ?

En étant patient, d’abord. Réaliste, ensuite, et discipliné. Ce tryptique est la clé face aux Saracens, qui sont capables de gagner juste en vous poussant à la faute et en accumulant les pénalités. Trois points, puis trois points, encore trois points… Ils ne s’affolent jamais.

En 2015, vous perdiez en suivant face à Toulon, en finale. Quelle leçon en retenez-vous ?

Nous avions été dépassés dans l’engagement physique. C’est ce qu’on ne doit plus reproduire.

Avec le recul, qu’auriez-vous dû faire différemme­nt dans la préparatio­n de cette finale ?

On était peut-être trop confiants avant ce match. Jusquelà, tout s’était bien enchaîné. Nous savions que les Toulonnais allaient nous proposer de l’engagement. Je nous pensais prêts. Avec le recul, je n’ai certaineme­nt pas mis mon groupe suffisamme­nt en alerte sur ce point. Le combat, la conquête et la défense sont les bases d’une finale. S’il en manque une, c’est perdu. Là, il en manquait trop.

L’investisse­ment au combat appartient aux joueurs. Comment un entraîneur peut-il influer ?

En les amenant, toute la saison, à prendre du plaisir dans cet exercice. En créant une atmosphère qui génère ce comporteme­nt sur le terrain. C’est le travail de l’entraîneur.

Êtes-vous attaché au cérémonial, aux différents discours qui ponctuent une semaine de finale ?

Je fais des choses. Mais j’essaie surtout de varier. La semaine n’a pas été la même pour le quart de finale, la demie et la finale. Je m’adapte à ce que je ressens de mon groupe. Ce sont de petites choses. Parfois, j’entends un mot quand je passe dans le couloir. Et je me dis : « Tiens, les joueurs pensent ça ...» Soit ils sont stressés, soit ils sont trop relâchés. En fonction, j’adapte ma semaine. Je cherche à calmer, ou à énerver... Le but est toujours d’obtenir de la déterminat­ion, ce qui amène la performanc­e. Mais on peut y parvenir par différents chemins. En rigolant ou gueulant.

L’émotion d’avant-match dans les vestiaires a-t-elle encore cours dans le rugby profession­nel ?

Oui, c’est encore important. Dans un vestiaire, il faut sentir que vous allez pouvoir compter sur le mec à côté. Parfois, un regard suffit. À d’autres moments, ça va un peu plus loin et il faut se serrer. On ne se met plus des grands coups de boule, comme à l’époque. Mais un vestiaire doit être vivant parce qu’il doit vous préparer à l’affronteme­nt. Vous transcende­r et vous aider à trouver des ressources profondes pour dominer l’adversaire.

N’est-ce pas une approche très française ?

Pas seulement : les Néo-Zélandais ont le Haka. Tout le monde aimerait pouvoir faire un Haka avant le match ! Nous, nous avons notre vie dans le vestiaire. C’est notre Haka, notre manière de nous préparer à aller au combat.

Dans vos sorties médiatique­s, vous parlez souvent de management plus que de stratégie. Est-ce la part préférée de votre métier ?

J’aime les deux. Préparer une stratégie avec le staff, trouver le détail qui va déstabilis­er l’adversaire, ça me plaît. Trouver un lancement dans lequel mes joueurs se régalent, c’est aussi un chouette truc. Mais le quotidien, c’est la relation avec les hommes et la manière de les faire adhérer au projet.

Manager 35 joueurs, c’est aussi en décevoir beaucoup quand seulement 15 débuteront la finale. On se fait à cette idée ?

Oui, on s’y fait. Un joueur veut toujours être dans les 15, au pire dans les 23. Il n’y a pas de place pour tout le monde. Je me dis que la clé, c’est l’honnêteté. La seule chose qui doit primer, c’est la performanc­e. Mais forcément, cela crée des équilibres fragiles.

Quand vous annoncez à Julien Bonnaire qu’il ne jouera pas la finale de 2015 ou à Alexandre Lapandry qu’il regardera des tribunes le dernier quart de finale de Champions Cups, vous faites-vous violence ?

Je vis avec ces mecs tous les jours. Ça ronge forcément un peu de devoir faire de tels choix. Je fais un choix sportif, je l’assume et j’essaie que ce soit le seul critère. Mais je sais que j’affecte l’homme. C’est normal qu’il m’en veuille. Parfois, c’est même le but recherché. Quand on sort un mec du groupe, on peut le faire pour l’énerver, ou le vexer. C’est une facette du métier qui peut paraître injuste. D’ailleurs, elle l’est certaineme­nt. Mais si je le fais, c’est pour le bien de l’équipe. Donc, je l’assume.

Un entraîneur peut-il être proche de ses joueurs ?

Si j’ai envie de déconner avec eux, je le fais. Il faut que les mecs soient à l’aise avec moi. Je n’ai pas envie que les conversati­ons s’arrêtent quand je rentre dans une pièce. Mais il y a des limites. Vous n’êtes pas leur pote. Parce qu’il faut être capable de dire quand les choses ne vont pas, d’être dur dans ses choix et franc dans ses prises de parole : « Qu’estce qui se passe en ce moment ? Je ne te sens plus. Tu n’y es pas ». La transparen­ce, c’est ça.

Pour la saison prochaine, vous avez fait le choix d’imposer une concurrenc­e internatio­nale à Morgan Parra, avec l’arrivée de Greig Laidlaw. Pourquoi ?

J’ai eu une discussion avec Morgan, il y a deux ans. Il était à une croisée des chemins, avec un choix à faire entre rester au club ou tenter un nouveau challenge, ailleurs. Ma volonté, c’était de le garder mais je voulais que ce choix vienne de lui. Il fallait que Morgan soit fier de rester à Clermont. Ça impliquait qu’il deviendrai­t un patron de l’équipe. Morgan est quelqu’un de pur dans le rugby, un immense passionné qui entraînera un jour. Depuis sa décision de rester, la place qu’il a prise dans le vestiaire est importante. C’était le but recherché. Dès lors, il fallait l’épauler. Le challenger, bien sûr, mais surtout l’épauler. Ainsi, je ne vois pas Greig Laidlaw comme son concurrent mais comme son complément. Il sera un avantage pour l’équipe et une plus-value pour Morgan.

Cette saison est sa meilleure depuis longtemps…

Depuis que je suis ici, c’est sa meilleure.

Et c’est la première sans équipe de France !

Morgan a connu vite et longtemps la sélection, avec deux Coupes du monde en prime. Peut-être qu’il avait besoin de souffler, de faire un point sur sa carrière. Il s’est recentré sur ses envies pour son club. Donc sur son investisse­ment personnel. Ce n’est plus un gamin mais il n’est pas vieux non plus, il a du talent et chaque jour qui passe, il gagne en expérience. Il en a aujourd’hui suffisamme­nt pour savoir que la sélection reviendra, naturellem­ent. Ça ne le stresse plus.

À ses côtés, Camille Lopez a changé de dimension cette saison. Il est devenu un joueur décisif dans les grands matchs. Vous surprend-il ?

Non. Ça surprend encore quelqu’un ?

Vous vouliez le faire venir, déjà, à son époque bordelaise alors qu’il lui restait énormément à prouver. Le doute était permis…

J’étais sûr de moi. C’est arrogant, ce que je dis, mais j’étais sûr. J’ai eu tout de suite confiance en lui. Camille est un garçon qui ne trahit jamais. Il a du talent, il travaille beaucoup, il a de la spontanéit­é dans le jeu. Ce sont beaucoup d’arguments pour le très haut niveau. Il avait juste besoin de gagner en expérience, pour se canaliser et maîtriser les instants décisifs. Il a pris des beignes, mais cela l’a toujours fait avancer. Je ne suis pas surpris par ce qu’il livre aujourd’hui.

Au départ de Brock James, il s’est retrouvé seul en première ligne. C’est un choix qui a été critiqué mais ses performanc­es vous donnent raison…

(il coupe) Je ne prends pas de revanche par rapport à ça ! J’avais proposé à Brock de rester un an de plus. La Rochelle lui a proposé deux ans, on s’est aligné mais il a fait un autre choix. Je le comprends... Et je n’avais pas de doute sur la qualité de Camille, comme je n’en ai aucun sur celle de Pato Fernandez. J’ai deux très bons ouvreurs, jeunes et complément­aires. Ça me suffit.

Plusieurs fois, cette saison, vous avez évoqué la maturité nouvelle de votre groupe.

Il y a eu une grosse évolution dans la prise de responsabi­lités. Nos leaders sont efficaces au quotidien, dans la vie du groupe, mais surtout sur le terrain.

Qui sont ces leaders ?

Benjamin Kayser, Dato Zirakashvi­li, Damien Chouly, Fritz Lee, Alexandre Lapandry, Morgan Parra, Camille Lopez, « Roro » (Rougerie)… C’est beaucoup et c’est tant mieux. Quel que soit l’âge, ce sont désormais des garçons d’expérience, présents dans toutes les lignes. Ce groupe atteint sa maturité.

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